Quand un chaman de la forêt amazonienne et un investisseur américain dans le domaine des biotechnologies déjeunent ensemble, de quoi parlent-ils ? Réponse : de< b>thérapie psychédélique. Attention à ne pas vous étrangler avec votre mélange quinoa, tofu, boulgour : oui, cet article traite de champignons hallucinogènes, d’ecstasy, d’ayahuasca et même de LSD ! Depuis peu, on constate une renaissance des recherches scientifiques sur les psychédéliques. Des laboratoires universitaires analysent leurs effets en psychiatrie, tout particulièrement sur l’anxiété aggravée, la dépression et les traumas, mais aussi pour les personnes atteintes d’angoisse en fin de vie ou encore celles souffrant d’addiction. Et si nous troquions, dans les prochaines années, la pratique de la méditation contre une psychothérapie assistée par hallucinogènes ? On vous dit tout des bienfaits médicinaux de ces molécules sur notre santé mentale, sans oublier leurs dangers. Attachez vos ceintures, amis explorateurs des états de conscience modifiés, nous partons en voyage.
Les caractéristiques de la psychothérapie assistée par hallucinogène
La thérapie psychédélique consiste à associer une substance hallucinogène à une psychothérapie par la parole. La prise de la molécule se fait au cours d’une séance qui dure de 6 à 12 heures. Dans le cadre clinique, elle est accompagnée par un médecin. On ne peut pas encore parler de méthode standard, car les essais sont toujours en cours — aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et en Israël, mais pas en France, où la législation actuelle n’autorise pas les recherches.
Quels sont les psychédéliques qui peuvent être utilisés dans le cadre d’une psychothérapie ? Certains proviennent de plantes transmises depuis des millénaires par les populations indigènes. Dans le cadre chamanique, elles sont préparées de manière rituelle avant d’être ingérées. En médecine occidentale, leur molécule est synthétisée. Ci-dessous, nous avons indiqué entre parenthèses la molécule correspondant à chaque substance végétale :
- ayahuasca (DMT), boisson préparée à partir de plantes de la forêt amazonienne ;
- champignons hallucinogènes (psilocybine) ;
- peyotl (mescaline), petit cactus d’Amérique du Nord ;
- iboga (ibogaïne), arbuste originaire du Gabon.
Les psychédéliques ci-dessous existent uniquement sous forme synthétique :
- LSD ;
- kétamine ;
- MDMA : molécule que l’on retrouve dans l’ecstasy, associée à des amphétamines.
Le potentiel de la thérapie psychédélique pour la santé mentale
Se libérer de traumas avec la MDMA
Cette molécule a des propriétés « empathogènes » : elles amplifient la capacité d’empathie et le désir de contact avec autrui. Cela en fait une substance idéale pour soigner le stress post-traumatique, par exemple pour les vétérans de guerre, les victimes d’attentats terroristes ou les personnes ayant subi des agressions. La Food and Drug Administration (FDA) a décerné aux études menées par la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS) le label très prisé de breakthrough therapy (« traitement novateur » en français). Si la troisième et dernière phase des essais cliniques en cours est validée, ce psychédélique sera rapidement autorisé en tant que médicament.
Soigner les dépressions résistantes avec la psilocybine
À ce jour, selon l’INSERM, 30 % des personnes souffrant de dépression ne bénéficient d’aucun soulagement avec les traitements disponibles. Le Center for Psychedelic & Consciousness Research, à l’université Johns Hopkins (Baltimore, États-Unis) a consacré une étude aux effets de la psilocybine sur cette cible de patients. D’après les résultats, publiés en mai 2021 dans la revue JAMA Psychiatry, 70 % des individus ont répondu positivement à cette thérapie.
La thérapie psychédélique pour apaiser les angoisses des patients en fin de vie
Concernant les angoisses de mort survenant en fin de vie, les résultats obtenus grâce à la psilocybine (la molécule présente dans les champignons hallucinogènes) sont très positifs. Voici les conclusions de l’étude menée par l’université Johns Hopkins, publiée en 2016, dans Journal of Psycopharmacolgy :
Lorsqu’elle est administrée dans des conditions de soutien psychologique en double aveugle, une dose unique de psilocybine a produit des diminutions substantielles et durables de l’humeur dépressive et de l’anxiété, ainsi qu’une augmentation de la qualité de vie et une diminution de l’anxiété de mort chez les patients ayant un diagnostic de cancer mettant leur vie en danger. Les évaluations par les patients eux-mêmes, les cliniciens et les observateurs communautaires suggèrent que ces effets ont duré au moins 6 mois. Le taux global de réponse clinique à 6 mois sur la dépression et l’anxiété évaluées par les cliniciens était de 78 % et 83 %, respectivement.
La psychothérapie assistée par hallucinogène pour traiter les addictions
En novembre 2020, le RESPADD (Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions) a consacré son bulletin d’information aux psychédéliques. Dans son éditorial, le vice-président, Amine Benyamina, explique l’espoir que représentent ces substances dans ce domaine médical :
« À l’heure où j’écris ces lignes, le titre de cet éditorial (NDLR : La France dans la renaissance psychédélique) reste un vœu pieux. […] En tant que psychiatre et addictologue, je m’intéresse aux promesses des psychédéliques dans les “thérapies augmentées”. Dans le domaine des addictions, ces promesses devraient bientôt aboutir à des indications valides, à commencer par l’alcoolisme et le tabagisme, deux lourds fardeaux en matière de santé publique. »
💡 Envie d’en savoir plus ? Lisez Phantastica. Ces substances interdites qui guérissent, de Stéphanie Chayet, éd. Grasset
Dangers et contraintes de l’usage des substances hallucinogènes en psychiatrie
Des études à poursuivre pour une meilleure évaluation des risques liés aux psychédéliques
La MDMA est la seule substance à avoir atteint la phase 3 dans le cadre d’essais cliniques. On ne dispose donc pas encore de toutes les informations concernant les mécanismes d’action, la sécurité et l’efficacité de ces molécules. Quel accompagnement thérapeutique combiner avec quel type de psychédéliques ? Quel dosage proposer ? Quels sont les profils de patients à qui les hallucinogènes ne doivent pas être prescrits ? Des études à grande échelle doivent être menées pour répondre à ces questions. Et pour cela, une évolution de la législation est indispensable.
Bad trip : une descente aux enfers aux vertus salvatrices ?
Le bad trip est souvent cité parmi les effets secondaires. Il peut prendre la forme d’un état de terreur, d’une crise de paranoïa… Et si c’était une étape nécessaire pour atteindre la guérison de troubles mentaux ? Vomissements, sensation d’être avalé par un serpent géant, intense plongée introspective… Les personnes ayant déjà participé à un rituel d’ayahuasca rapportent toutes que ces phénomènes sont des moments essentiels dans le processus de cure. Stanislav Grof, pionnier de l’utilisation du LSD, considère la traversée de ces épreuves comme une possibilité de se libérer de programmes inconscients, en cause dans les maladies psychiques. Les collaborations nouvelles entre des laboratoires en sciences sociales, en pharmacologie et en neurosciences, ainsi que les techniques d’imagerie cérébrales éclaireront ce point dans les années à venir.
Les pratiques de la psychiatrie remises en question par les psychédéliques
Les publications médicales et les retours des usagers insistent sur l’attention à porter au « set and setting », c’est-à-dire à l’état d’esprit du patient et à son environnement. La lumière, l’ambiance sonore ou musicale et le confort de la personne contribuent donc au succès de l’expérience, tout comme la bienveillance de l’accompagnateur et la possibilité d’établir un contact sécurisant avec lui. Sachant aussi, comme nous l’avons vu, qu’une thérapie psychédélique suppose de monopoliser un (voire deux) accompagnants durant 6 à 12 heures. Tous ces éléments font qu’on est loin du cadre réel de l’hôpital psychiatrique public.
Mettre en œuvre la thérapie psychédélique impliquerait un engagement financier de l’État. Cette question économique mérite d’être explorée. Quel est le coût de la prise en charge des dépressions et des troubles mentaux aujourd’hui ? Si une séance de thérapie avec psilocybine peut réduire les symptômes de dépression, l’enjeu sur le plan de la santé publique est considérable.
Reste à déterminer si les psychiatres eux-mêmes sont disposés à revoir leur pratique. Car dans l’expérience psychédélique, le ressenti subjectif de l’usager est au centre. Le thérapeute est un aidant, un « guide », certainement pas un « sachant » se tenant à distance.
La thérapie psychédélique est un sujet passionnant ! Elle offre de l’espoir aux personnes souffrant de dépression, d’anxiété à l’approche de la mort, de chocs post-traumatiques ou d’addictions. Et elle nous ramène à cette vérité : la quête de sens de l’être humain et son besoin fondamental de vivre en harmonie avec son environnement constituent une clé essentielle à sa santé mentale. Cet article vous a donné envie d’explorer les états de conscience modifiés en toute légalité et de préférence sans effets secondaires ? Renseignez-vous auprès de l’université Paris 8, un programme de formation a été mis en place pour apprendre à entrer en transe…
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Marie Mallaret pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Stéphanie, tutrice de formation chez FRW.
SOURCES :
Mitchell, J.M., Bogenschutz, M., Lilienstein, A. et al. « MDMA-assisted therapy for severe PTSD: a randomized, double-blind, placebo-controlled phase 3 study. », Nature Medicine 27, 1025–1033 (2021).
Davis AK, Barrett FS, May DG, et al. « Effects of Psilocybin-Assisted Therapy on Major Depressive Disorder: A Randomized Clinical Trial. », JAMA Psychiatry. 2021;78(5):481–489. doi:10.1001/jamapsychiatry.2020.3285
Griffiths, Roland R et al. « Psilocybin produces substantial and sustained decreases in depression and anxiety in patients with life-threatening cancer: A randomized double-blind trial. », Journal of psychopharmacology (Oxford, England) vol. 30,12 (2016): 1181-1197. doi:10.1177/0269881116675513