À l’heure où la révolte féministe bat son plein et où la femme essaie encore et toujours de se faire une place dans un monde d’hommes ; à l’heure où les réseaux sociaux ont un impact prégnant sur la nouvelle génération ; à l’heure où l’idéologie du genre flanche : le mouvement Tradwife dérange. Ces jeunes personnes d’apparence innocente et à la féminitude exacerbée représentatives des années 50 arborent sur leur compte Instagram ou TikTok un modèle de vie traditionnel idéal.
Jusque là, rien d’inquiétant. Seulement derrière ce masque de beauté jugé inoffensif, ces tradwives veulent transmettre un message politique. Quel est-il ? Et qui sont-elles vraiment ? Ont-elles un effet néfaste sur la société d’aujourd’hui ? Nous en apprendrons un peu plus dans cet article sur ces femmes à la personnalité clivante qui font couler de l’encre.
Tradwife, quel est ce phénomène de société qui soulève les débats ?
Elle est souriante, douce et maternelle. La Tradwife, ou l’épouse traditionnelle en français, nous renvoie cette image de nos grands-mères, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Ou plutôt si, car, aujourd’hui encore, certaines femmes espèrent trouver l’équilibre de vie parfait grâce à un retour en arrière drastique, plus exactement aux années 50, lorsque Maman restait à la maison et que Papa partait travailler. Pour résumer : elle cuisine, pâtisse et pétrit le pain, fait le ménage, la lessive et les courses, s’occupe des enfants et de leur éducation, et plus que tout, elle chérit son adorable mari. Je vois d’ici Virginia Woolf se retourner dans sa tombe !
« C’est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ; c’est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète. » Simone de Beauvoir
Robe à mi-mollet fleurie et serrée à la taille par un tablier immaculé, nœud dans les cheveux et maquillage sobre, la Tradwife se filme la plupart du temps en train de repasser ou de préparer le repas. Elle donne des conseils en matière de cuisine, de décoration ou d’éducation des enfants. Jeune femme blanche chrétienne, souvent qualifiée de conservatrice, antiféministe et antiavortement, sa popularité inquiète dans une société où l’on se bat pour l’égalité des sexes et la liberté de tous. Cette figure en décalage avec le monde moderne insiste sur cette image d’épouse et de mère parfaite, soumise à son mari avec une répartition des rôles genrés, comme avant.
Si, de nos jours, ce quotidien nous est présenté comme un choix, il n’en était pas de même pour les tradwives des années 50. En effet, elles ressentaient plus un vide existentiel qu’une joie de vivre, contrairement à l’image que renvoient nos épouses traditionnelles actuelles. Ce « problème qui n’a pas de nom », Betty Friedan, féministe américaine, l’expliquait dans son ouvrage The Feminine Mystique (1963). Elle y met en lumière les causes des frustrations des femmes modernes dans des rôles conformistes. Ce qui aujourd’hui n’est plus et donne lieu à des partisanes fières d’être les porte-parole de ce mouvement.
« feminine, not feminist » et les louanges du patriarcat
« La tension entre “la féministe” et “la femme au foyer” est un conflit qui remonte aux années 1960 » explique Frankie Sitler-Elbel dans son étude universitaire « From Swiffers to Swastikas : How the #tradwife movement of conventional gender roles became synonymous with white supremacy ». Les tradwives se revendiquent donc « féminines, mais pas féministes ». Elles se disent alors trahies par ce féminisme qui, selon elles, leur affirme qu’elles peuvent tout mener de front : s’occuper du foyer, des enfants, de son mari, en plus d’avoir une carrière. Ce choix de vie, souvent perçu comme radical et exagéré, renvoie visiblement à une contre-attaque au mouvement philogyne (par définition : qui aime les femmes).
« Ne débarrassez pas la table, à moins que les hommes ne se lèvent pour le faire aussi. » Coco Chanel
Le couple hétérosexuel, largement mis en avant ici, traduit une dominance patriarcale et une sujétion féminine. En effet, les tradwives influenceuses se vantent de pouvoir servir leur époux et d’être disponible pour lui, en laissant passer ses désirs avant les siens. C’est aussi en s’exprimant ainsi que Elena Kate Petitt, l’une des pionnières du mouvement, a pu faire le buzz grâce à son interview en 2020 sur la BBC intitulée : « Submitting to my husband like it’s 1959′ : Why I became a TradWife » (Me soumettre à mon mari comme si nous étions en 1959 : pourquoi je suis devenue TradWife).
Estee Williams, une Tradwife également réputée sur les réseaux sociaux, affirme sur son compte Instagram ne pas « fréquenter la salle de sport sans [son cher et tendre], ne pas avoir d’amis garçons et ne pas sortir après la tombée de la nuit ». Nous avons ici un discours très représentatif de la Tradwife en contradiction avec celui plutôt libéral d’une féministe. Lorsque l’une se voue corps et âme à son conjoint, l’autre se proclame indépendante et libre de ses choix. Qui a raison, qui a tort, la réponse reste à débattre. Quoi qu’il en soit, observer leurs contenus sur leur chaîne YouTube ou sur TikTok permet de se faire une idée de leur notoriété et de réaliser à quel point ces femmes sont regardées. D’un angle moqueur, curieux ou plus sérieux, elles sont les stars des réseaux sociaux.
Les tradwives: les stars des réseaux sociaux
Bébé bien calé dans son écharpe de portage, Hannah Neeleman alias Ballerinafarm sur son compte Instagram, s’affaire à élaborer toutes sortes de préparations culinaires maison dans ses vidéos vues par un nombre considérable d’internautes. Maman de 8 enfants, elle est à 34 ans une des tradwives les plus célèbres et cumule pas moins de 10 millions d’abonnés. En cotte pour aller traire les vaches ou en robe en lin comme Caroline de La Petite Maison dans la Prairie, elle filme son quotidien en tant que femme au foyer, et ça marche.
Ce qui paraît à première vue un simple hobby est devenu une activité très rémunératrice pour certaines. Ces « influenceuses au foyer » s’associent à de grandes marques et font la promotion de produits divers en corrélation avec la maternité ou l’entretien de la maison. Ces partenariats leur rapportent de l’argent tout en leur permettant de rester la ménagère qu’elles veulent être. Cette apparence, souvent poussée à son paroxysme, laisse l’internaute perplexe : comment arrivent-elles à créer autant de contenu, tout en gardant un intérieur impeccable ? Comme toujours sur les réseaux sociaux, la façon dont on s’expose au public ne reflète pas toujours la réalité.
Un fort soutien politique se cache derrière ce simple mode de vie traditionnel
À l’heure où j’écris cet article, les États-Unis sont à quelques jours des élections présidentielles. Dans un pays plus que divisé, où la population a tendance à se replier sur elle-même, l’écosystème Tradwife s’inscrit ainsi dans un mouvement plus large et plus politique qu’on pourrait le penser. Elles avaient déjà apporté leur soutien lors de la campagne de Donald Trump en 2016. Aujourd’hui, elles sont encore plus investies dans le rôle de suprémacistes blanches, prêtes à tout pour voir le camp républicain accéder à la victoire en 2024.
Dans cette course effrénée au pouvoir, ce retour à la vie traditionnelle et à la vision du couple très genré, en opposition aux ménages homosexuels, plaît beaucoup à l’électorat Trumpiste. À tel point que des événements sont organisés dans de grands hôtels privatisés à l’intention de la jeunesse conservatrice. Le message y est clair : le féminisme est une abomination, l’avortement est un crime. Des milliers de militantes se réunissent pour assister à des conférences de personnalités d’ultradroite qui prônent l’importance de fonder une famille. À peine sorties de l’adolescence pour la majorité, elles aspirent à devenir des futures tradwives pour une Amérique meilleure et servir un patriarcat toujours plus présent au XXIe siècle.
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Plus qu’un mouvement qui rassemble une simple communauté de ménagères, les tradwives soulèvent des questionnements sociologiques et politiques qui font d’elles à la fois une menace pour les droits des femmes, mais aussi un allié pour le parti républicain. Les valeurs conservatrices ainsi que l’idéologie du genre qu’elles partagent avec leur public prouvent qu’elles ont un message à transmettre. Grâce au pouvoir des réseaux sociaux, elles peuvent, de façon inoffensive, rallier les troupes à leur cause et se positionner face à la puissance d’un féminisme de plus en plus grandissant. Adhérer à une structure familiale conventionnelle, dans un contexte inquiétant où les gens s’affranchissent des contraintes sociales, leur procure un sentiment de sécurité. Mais n’est-ce pas radical de vivre de telle sorte ? Craignent-elles autant cette société au point de s’asservir à leur mari et à leurs enfants ? Car ce choix est bien celui de femmes et non d’hommes. Coïncidence ? Vous avez 4 h.
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Megan Taisson, pour e-writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Anne Le Tarnec, tutrice de formation chez FRW
Sources :
Image mise en avant : Ladies’ Home Journal (1948) https://www.flickr.com/photos/internetarchivebookimages/14764187131/
Comptes Instagram des tradwife : Hannah Neeleman @Ballerinafarm ; Estee Williams @esteecwilliams
SITLER-ELBEL, Frankie Hope. From Swiffers to Swastikas : How the #tradwife movement conventional gender roles became synonymous with white supremacy. Bard College. 2021
SYKES, Sophia and HOPNER, Veronica. Tradwives : Right-Wing Social Media Influencers. Journal of Contemporary Ethnography, 2024, Vol. 53(4) 453–487
ROZEC, Thomas et SORIN, Claire. La mytho des fachos : les tradwives. 2024. Disponible sur https://www.binge.audio/podcast/programme-b/la-mytho-des-fachos-les-tradwives
LUCET, Elise. Envoyé Spécial. L’Amérique des tradwives. 2024. Disponible sur https://www.france.tv/france-2/envoye-special/6598289-l-amerique-des-trad-wives.html#section-about