Le syndrome de Stockholm se manifeste chez un individu sans défense, en situation de grande fragilité, lorsque ce dernier est confronté pendant une longue durée à la domination d’un agresseur. Mais d’où vient-il ? Quels sont les symptômes de cette dépendance aussi insidieuse qu’inconsciente ? Retour sur ce mécanisme d’autodéfense dont les origines sont finalement encore assez tues et méconnues.
La naissance du syndrome de Stockholm
Stockholm, 23 août 1973. Banque suédoise. Jan-Erik Olsson et Clark Olofsson, tout juste évadés de prison, entrent dans l’agence armés en criant « La fête commence ! », juste avant d’allumer la radio. Morceau de rock. Un braquage s’annonce, presque festif. Après six jours de séquestration, les quatre employés pris en otage refusent de sortir de la banque, craignant que les braqueurs soient blessés par la police. Olsson et son acolyte reçoivent régulièrement la visite de leurs victimes en prison les années qui suivent. Mais justement : d’où provient ce phénomène d’attachement d’une victime à son bourreau ?
Dans l’émission Affaires sensibles : Les lois de l’attraction parue le 20 mars 2019 sur France Inter, Fabrice Drouelle retrace cet épisode survenu en août 1973. On y apprend, entre autres, que chaque soir, les braqueurs autorisent leurs prisonniers à téléphoner chez eux. Alors que personne ne lui répond, une des otages fond en larmes, sans nouvelles de ses enfants. Olsson la fait venir sur ses genoux pour la consoler. « Tout va bien se passer », lui dit-il. Des années plus tard, cette dernière raconte :
« Le braqueur m’a dit que tout irait bien si la police voulait bien s’en aller. J’étais à ce moment-là d’accord avec lui. Le braqueur me parlait tout doucement, il m’a dit qu’il avait deux enfants lui aussi. Il ne les avait pas vu depuis des années à cause de sa vie criminelle. Il comprenait ce que je ressentais. En l’écoutant, j’ai pensé, et je suis toujours convaincue que s’il avait su que j’étais mère, il ne m’aurait pas prise en otage. ». Il lui prête même sa veste lorsqu’elle a froid dans la nuit.
Une inconsciente stratégie de survie
Le lendemain, le commissaire qui se trouve sur les lieux constate que les otages sont détendus et amicaux avec leurs ravisseurs. Ce constat le rassure et le trouble à la fois. Les victimes déclarent au téléphone qu’elles sont prêtes à suivre Olsson et Olofsson où qu’ils aillent. Une conversation téléphonique d’un journaliste avec une employée séquestrée est enregistrée : « Je leur fais totalement confiance, je ferais le tour du monde avec eux, sans hésiter. Croyez-le ou non, j’ai passé un bon moment avec eux, on a discuté… La seule chose qu’on craint c’est un assaut de la police. On en a une peur bleue. »
Un médecin constate qu’un sentiment de sympathie réciproque est né entre braqueurs et braqués. À l’aide de ces témoignages, Nils Bejerot, un psychiatre suédois, définit les contours de ce qu’il appelle alors le fameux « syndrome de Stockholm ». Il s’agit en fait d’une réaction émotionnelle capable de se manifester chez un individu structuré mais sans défense dont la vie dépend complètement d’un agresseur.
Selon le médecin, plus le rapport de force est prolongé, plus il est possible de voir émerger un courant affectif et réciproque entre une victime et son bourreau. Surtout si ce dernier est capable de justifier son acte à sa victime. Le syndrome de Stockholm est donc un réflexe d’autodéfense, un geste de survie. Selon le docteur Bejerot, les quatre otages ont essayé de se protéger des dangers que représentaient Olsson et Olofsson en attirant leur sympathie et en mettant parfois de côté certaines de leurs valeurs.
Des rôles agresseurs/victimes presque inversés
Aujourd’hui, tous les membres du groupe d’otages des deux évadés de prison mènent des vies paisibles. Lors d’un entretien avec la BBC en 2013, Olsson déclare : « Tout ça c’est de la faute des otages. Ils ont fait tout ce que je leur ai demandé de faire. S’ils n’avaient pas obéi, je ne serais pas ici maintenant. Pourquoi ne m’ont-ils pas attaqué ? Ils m’ont rendu la tâche difficile, ils nous ont permis de vivre ensemble jour après jour. Il n’avait rien d’autre à faire que d’apprendre à se connaître ». Ici, Olsson inverse totalement les rôles, comme l’ont d’ailleurs fait les victimes elles-mêmes.
Difficile à comprendre d’un point de vue extérieur, et pourtant… Toujours dans l’émission Affaires sensibles de mars 2019, Michel Peyrard, réalisateur et reporter, est invité. Il y parle de son documentaire Otages, que Fabrice Drouelle définit comme « une plongée hallucinante dans l’enfer de la captivité ».
Le réalisateur raconte : « Il faut faire passer le temps en conservant l’espoir. Ça peut durer une éternité, et ça c’est un élément d’angoisse énorme. L’absence d’échéance est quelque chose qui les mine profondément. Passé le choc, le traumatisme de la capture souvent très violente, il faut tenter de nouer des liens avec des ravisseurs. (…) On pourrait schématiser en disant qu’il y a deux formes d’attitude : d’un côté ceux qui vont résister, une forme de résistance passive pour tenter de grappiller des avantages, tester la patience des geôliers. Et puis ceux qui sont plutôt dans la soumission, car ils estiment que toute tentative de révolte met les autres en danger. C’est quelque chose qui est très flagrant lorsqu’ils sont plusieurs dans les groupes. ».
Un paradoxe psychologique
Dans son épisode de podcast sur le syndrome de Stockholm, Psychoshot cite Eric Torres, médecin et auteur d’un livre sur le sujet. Ce dernier explique que l’irruption soudaine d’une telle violence brise d’un seul coup le fantasme d’immortalité. La victime vit alors une réelle perte de repères. Sa réalité s’effondre, elle se retrouve en situation d’impuissance totale. Ses besoins vitaux sont conditionnés au bon vouloir du braqueur.
Cette dépendance totale entraîne une régression infantile. Après cet effondrement psychique, la victime doit redonner un sens à sa réalité. C’est à ce moment précis que se développe l’attachement à l’agresseur. Ce syndrome est avant tout un mécanisme de défense. Il permet de neutraliser la terreur qu’il inspire à l’otage. L’agresseur devient la personne sur laquelle la victime peut s’appuyer pour survivre : d’où le paradoxe.
Edmundo Oliveira, dans Archives de politique criminelle, explique que le lien se tisse insidieusement, presque comme un réflexe. Il cite Martin Symonds, ancien policier et psychiatre, qui qualifie cet état de fragilité de peur gelée, ou « frozen fright ». La victime bascule dans un état de sidération, durant lequel le choc gèle sa réflexion. Le cerveau se voit incapable d’analyser les informations, comme paralysé.
L’état de sidération, ou le refus de la mort
Cet état de sidération est en réalité le fruit de notre confrontation avec l’imminence de notre mort. Selon Sigmund Freud, personne ne croit à sa propre mort. Dans son inconscient, chacun est persuadé de son immortalité. Au début, la victime peut être bouleversée par un énorme sentiment de panique, tout en parvenant à camoufler ses ressentis. Elle reste calme, obéit aux ordres de son bourreau, collabore avec lui, en minimisant peu à peu le choc provoqué par l’agression.
Afin de protéger son intégrité personnelle, la victime met en œuvre des mécanismes d’autodéfense, le plus souvent inconsciemment. En psychanalyse, ce comportement est nommé « formation réactive », faisant réagir les systèmes de protection de l’ego. Lors de ces évènements, l’individu inverse les règles sociales apprivoisées jusqu’alors, l’agression bousculant en elle-même ses codes personnels.
Au lieu de l’adversité, la victime exprime à son agresseur un sentiment d’affection, pouvant aller jusqu’à la reconnaissance et à la soumission. Dans le domaine de la victimologie, le syndrome de Stockholm est, en somme, une mise en lumière de l’immensité de la palette des sentiments que peut ressentir l’être humain, d’autant plus face à la complexité du phénomène criminel.
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Léa Daucourt, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Charlotte, tutrice de formation chez FRW.
Sources :
https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2005-1-page-167.htm
https://www.lepsychologue.be/articles/syndrome-de-stockholm.php
https://open.spotify.com/episode/054HCpvvL172QCAl7xkef5?si=d8fd1cbc9f384100