Le 4 janvier 2022, un bouleversement a eu lieu dans le monde du tatouage. Une réglementation interdit certains pigments qui composent les encres de couleurs, ce qui bouscule l’avenir pour le tatouage. D’Ötzi, premier homme tatoué, mort vers 3 500 av. J.-C. à aujourd’hui, l’évolution du tatouage en France n’a pas été sans heurt. Quelle est l’histoire de cette pratique ancestrale ? Quel horizon pour cet art dans la société française ? Histoire et polémiques autour de l’encre permanente.
L’origine du tatouage : piqûre de rappel
Un art primitif
Ötzi est à ce jour considéré comme le premier homme tatoué de l’Histoire. Retrouvé gelé dans les Alpes italo-autrichiennes, il est mort vers 3 500 av. J.-C., et arborait 61 tatouages. Selon les scientifiques, cet homme du Néolithique possédait des traits parallèles gravés sur sa peau pour soigner son arthrose. Cette pratique thérapeutique nécessitait des incisions dans lesquelles était frotté du charbon de bois.
Au Soudan et en Chine, des archéologues ont trouvé des momies ornées de dessins. En Égypte, les femmes momifiées étaient tatouées sur le torse, les jambes et les bras par des points alignés, des lignes parallèles ou des motifs d’animaux.
Des débuts difficiles
En 787, le pape Adrien a interdit le tatouage qui était considéré comme un symbole païen. Ce rejet a provoqué une quasi-disparition de la pratique dans la culture occidentale jusqu’au XVIIIe siècle. L’époque des grandes explorations conduit James Cook vers le pacifique sud. Il découvre le tatouage, le décrit dans ses récits, ce qui entraîne un nouvel élan pour cet art en Europe. L’encre permanente restera tout de même limitée aux marins jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
En 1891, l’américain Samuel O’Reilly invente la première machine à tatouer électrique. La pratique se modernise et se professionnalise lentement puisque les premiers studios de tatouage n’ouvriront en Europe qu’au milieu du XXe siècle. Seuls les punks, les bikers, les rockers, les rappeurs et les membres de gangs marquent leur épiderme, ce qui stigmatise cet art à un signe de rébellion et de protestation.
La force obscure d’un dessin permanent
La signification du tatouage demeure un sujet houleux puisqu’il varie en fonction de l’époque et des cultures. Durant l’histoire, il a été utilisé pour punir, dénoncer, stigmatiser et cela reste encore ancré dans l’esprit collectif. Les esclaves étaient tatoués d’une chouette ou d’un vaisseau de guerre dans l’Athènes antique pour être reconnaissables. Les Romains marquaient les esclaves, entre les deux yeux, avec la première lettre du nom de famille du maître. Les nazis inscrivaient sur l’avant-bras des déportés leur numéro de matricule. Idem, pour les Tziganes, tatoués d’un Z, pour Zigeuner qui signifie Tzigane en allemand. Les années 1980/1990 bouleversent le monde du tatouage puisque les stars de la musique, du cinéma et du sport affichent fièrement leurs tatouages. Le dessin permanent devient un phénomène de mode et de plus en plus de personnes souhaitent franchir le cap. Cette effervescence permet aux tatoueurs d’être reconnus mondialement pour leur travail.
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L’évolution du tatouage en France
Depuis une dizaine d’années, la pratique gagne du terrain et de plus en plus de Français franchissent les portes d’un studio et se laissent aller au son de l’aiguille électrique.
Le pourcentage de Français tatoué augmente
L’IFOP a réalisé trois sondages en France entre 2010 et 2018. Ces études montrent que le pourcentage d’adeptes est en constante évolution. Entre 2010 et 2018, le nombre de personnes tatouées a progressé de 8 %, passant de 10 à 18 %. Le résultat des jeunes âgés de 25 à 34 ans démontre également une augmentation de 9 % pour arriver à 29 %. Parmi la population tatouée en 2017, 61 % se déclaraient prêts à retenter l’expérience. Prendre la décision de se faire tatouer est une chose, mais choisir l’emplacement en est une autre. Entre une zone visible, cachée ou intime, les Français ont tranché ! 67 % préfèrent un endroit discret contre 43 % pour une région visible. Seuls 4 % osent une zone intime. Enfin, la majorité des Français (55 %) pensent que le tatouage est un art à part entière, avis très largement partagé chez les jeunes de 18 à 24 ans avec 80 %.
L’amélioration des conditions d’hygiène et de sécurité
En France, depuis 2008, une réglementation encadre la profession, contrairement à certains pays où aucune règle d’hygiène et de sécurité n’est imposée. En 2014, l’association des tatoueurs allemands a impulsé un projet sur l’application d’une norme européenne sur la prévention sanitaire. Dix autres pays, dont la France, ont rejoint le programme qui a mis cinq ans pour voir le jour sous le nom NF EN 17 169. Si cette norme existe, elle n’est pas exigée aux tatoueurs, qui l’emploient sur la base du volontariat. Les futurs tatoués peuvent demander à l’artiste s’ils respectent cette règle, ce qui peut aider à choisir son tatoueur en toute confiance. Les professionnels expriment leur volonté de faire progresser leur art. Ils sont conscients que des dérives persistent et souhaitent agir pour y remédier.
Un avenir noir pour le tatouage français
Selon le code de la santé publique, un produit pour les tatouages permanents est défini comme « toute substance ou préparation colorante destinée, par effraction cutanée, à créer une marque sur les parties superficielles du corps humain à l’exception des produits qui sont des dispositifs médicaux au sens de l’article L. 5211-1 ».
Des interdictions depuis le 4 janvier 2022
Depuis 2016, l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) étudie les matières utilisées dans les encres et a pris une décision en 2021 : dès le 4 janvier 2022, des restrictions dans l’Union européenne seront appliquées. Les substances chimiques qui provoquent des cancers ou des mutations génétiques, les substances chimiques toxiques pour la reproduction ainsi que les sensibilisants et irritants cutanés sont proscrits. Concrètement, l’usage de certains composants employés dans les encres de couleurs est interdit.
Vers un futur peu coloré
Depuis janvier 2022, 25 pigments sont interdits et une baisse du seuil de 4 000 substances utilisées dans les encres est appliquée. Cela signifie que les personnes qui désirent un tatouage avec du rouge, de l’orange ou du jaune ne pourront pas l’obtenir. Aucune solution de remplacement n’est proposée sur le court terme puisque cela nécessiterait plusieurs années de recherche avant la mise en place pour le grand public. En janvier 2023, les pigments bleus et verts seront prohibés, ce qui entraînera un bannissement de plus de la moitié des couleurs qui étaient disponibles en 2021.
Une destinée piquée au vif pour les tatoueurs
Les tatoueurs désapprouvent ces suppressions et perçoivent une restriction de leur pratique. Ils expriment des craintes : difficultés à identifier les couleurs acceptées par le règlement européen, usage illicite d’encres devenues non conformes, fermeture des studios, retour à la clandestinité, concurrence des pays hors UE comme la Suisse ou le Royaume-Uni, art du tatouage censuré, etc. Des inquiétudes naissent concernant l’avenir du tatouage et des tatoueurs. Les professionnels voient un horizon sombre se profiler, et se questionnent : est-ce que l’encre noire sera visée par d’autres restrictions ? Si tel est le cas, que vont-ils devenir ?
Entre découverte, interdiction et mauvaise image, l’évolution du tatouage en France n’a pas été simple. Aujourd’hui, la pratique s’est popularisée, chacun peut faire le dessin qu’il souhaite et y appliquer sa propre signification. Mais, la nouvelle réglementation sur les pigments fragilise le métier et laisse les professionnels présager un avenir noir pour le tatouage français.
Francine Durand, pour e-Writers.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Agathe, tutrice de formation chez FRW.
IFOP, les Français et le tatouage
ANSM, produits de tatouage
AFNOR, tatouage : plus de sécurité en Europe
SNAT, encres de tatouages : on est foutus ?
ECHA, encres de tatouage et maquillage permanent
Cultea, l’histoire du tatouage : de 3 500 avant J.-C. à aujourd’hui