Qui n’a pas déjà ébréché ou cassé un vase ou un bol qu’il affectionne particulièrement ? Dans cette situation, le premier réflexe peut être, au mieux, de tenter de recoller les morceaux avec de la super glue, et au pire, de les jeter directement à la poubelle. Une troisième alternative existe pourtant et peut redonner sa valeur à l’objet, voire davantage : il s’agit de la technique du kintsugi. Ce savoir-faire nippon de la restauration est au Japon une véritable passion, au point que l’on parle de l’art du kintsugi. Au-delà de l’aspect décoratif, ce procédé de réparation propose également une philosophie de la résilience face aux accidents de la vie. Une autre manière de regarder et d’embellir les cicatrices.

Qu’est-ce que la technique du kintsugi et d’où vient-elle ?

Le kintsugi (jointure en or) ou kintsukuroi (réparation en or) est l’art japonais de la restauration des poteries et pièces de vaisselle abîmées. Sa particularité réside dans le fait que l’objet est réassemblé avec de l’or, lui conférant un nouvel état sublimé.

L’histoire d’un art ancestral

Le kintsugi fait partie de ces traditions et arts du Japon qui ont traversé le temps jusqu’à notre époque. La légende raconte que cette technique fut inventée au XVe siècle, sous le règne du shogun Ashikaga Yoshimasa. Après 30 ans de règne difficile et instable, le chef militaire se retire dans les montagnes de l’est de Kyoto. Dans ce lieu de retraite, il s’entoure de moines lettrés et esthètes de tous horizons. Ces derniers vont amener avec eux de nombreuses œuvres étrangères et faire évoluer plusieurs formes artistiques : jardin, peinture, poésie, théâtre, art du thé et des fleurs, poterie et céramique japonaises.

Un jour, alors qu’il procède au chadô, la cérémonie du thé, Yoshimasa endommage par accident son bol chawan favori importé de Chine. Il décide donc de le renvoyer pour réparation. Au retour de l’objet, Yoshimasa constate qu’il a été raccommodé avec des agrafes métalliques et qu’il n’est plus étanche. Il charge par conséquent ses artisans de parvenir à restaurer le bol, en lui redonnant sa valeur et son utilité. Ceux-ci eurent par hasard l’idée de colmater et d’embellir les lignes de fissure avec de la laque dorée, donnant ainsi naissance à l’art du kintsugi. Le style artistique développé à cette époque, mêlant raffinement et sobriété zen, sera connu sous le nom de culture Higashiyama. Il marquera profondément et durablement l’esthétique japonaise.

Les étapes du kintsukuroi

Le kintsukuroi est un procédé lent et progressif, pouvant durer de quelques semaines à un an pour certaines pièces. Cette technique requiert patience, précision et application, afin de parvenir au résultat attendu. Elle peut se résumer en 3 grandes étapes :

  1. Pour commencer, il est nécessaire de sélectionner l’objet à restaurer. Traditionnellement, le kintsukuroi est utilisé pour réparer une porcelaine ou une poterie en raku ou en grès. Il est toutefois possible de choisir tout type de récipient en terre cuite ou céramique fissuré ou cassé : vase, plat, assiette, bol, gobelet, tasse.
  2. L’étape suivante consiste à recoller les morceaux un à un et/ou à combler les brèches. Pour cela, on applique de la laque japonaise urushi, une gomme-résine spécifique fabriquée à partir de sève d’arbre. Après la première couche, on effectue les éventuelles retouches, on laisse sécher une nouvelle fois, puis on procède au polissage.
  3. Enfin, on réalise un dernier laquage sur les lignes de fissure, sur lesquelles on appose de la poudre d’or (kintsugi) ou d’argent (gintsugi), selon la technique dite du maki-e. Si la résine est employée sans additif métallique, on parle d’urushi tsugi. Il convient ensuite de faire sécher le tout, avant de pouvoir utiliser à nouveau l’objet.

Présentation de l’art du kintsugi par Gen Saratani, un artisan urushi originaire du Japon :

 

Pour apprendre le kintsugi traditionnel, il est recommandé de se former en atelier avec un professionnel. Si l’on souhaite simplement s’initier à la méthode, des tutos et DIY sont disponibles sur Internet, indiquant le matériel nécessaire.

Que nous enseigne l’art du kintsugi ?

Le kintsugi est une technique décorative reposant sur des principes philosophiques et esthétiques, issus du bouddhisme zen et du taoïsme. De nos jours, on s’intéresse à l’application de ces préceptes dans les domaines de la santé et du développement personnel.

La philosophie du wabi-sabi

Au moyen-âge, le Japon subit la double influence du bouddhisme zen et du taoïsme chinois. La philosophie zen encourage la pratique méditative, ainsi que le détachement vis-à-vis du monde matériel et du rationalisme. Les principes du taoïsme (la voie du tao) reposent sur la reconnaissance d’une énergie commune à toutes choses (le ch’i), la recherche de l’équilibre entre les forces contraires (le yin et le yang), et l’harmonie avec la nature.

De cette double influence sont nés plusieurs concepts philosophiques et esthétiques au Japon, dont celui du wabi-sabi, qui est à l’origine du kintsugi. Le wabi enseigne le charme de l’imperfection, tandis que le sabi présente l’usure comme un révélateur d’identité. Dans cette conception, la beauté n’est pas une image figée et parfaite, mais évolue avec le temps et les événements. Le kintsukuroi, en sublimant les failles de l’objet et en lui donnant une nouvelle vie, incarne ce processus de transformation continu.

« La lune n’est plaisante que lorsqu’elle est partiellement voilée par les nuages. Cette lune est préférable à la pleine lune, qui par un ciel nocturne dégagé, brille de mille feux. » — Murata Shuko, fondateur de la cérémonie du thé japonaise

Selon le moine zen Murata Shuko, la création complète a un intérêt limité, car elle n’a plus rien d’autre à offrir. À l’inverse, l’œuvre imparfaite n’étant par définition jamais achevée, elle garde toujours un potentiel.

Les applications en psychologie

Le psychologue Tomás Navarro, auteur du livre Kintsukuroi : l’art de guérir les blessures émotionnelles (éd. de la Martinière), établit un parallèle entre le kintsugi et le travail de reconstruction psychique. Pour lui, les épreuves de la vie sont autant de fissures qu’il faut colmater et accepter. Ce processus renvoie à la définition de la résilience en psychologie, un concept élaboré par le neuropsychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik, et qui est « la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité. » Dans son ouvrage, Tomás Navarro s’appuie sur cette analogie et donne aux lecteurs concernés les conseils suivants :

  1. Recoller les morceaux sans trop attendre, afin d’éviter de s’enfoncer dans la douleur et la torpeur.
  2. Observer la situation de manière lucide, afin de tirer les leçons de ce qui est arrivé, sans jugement ni filtre.
  3. Développer sa résistance émotionnelle, afin de surmonter la souffrance.
  4. Reconstruire ce qui a été détruit, en repartant de ses fondations et de ses envies.
  5. Sublimer ses cicatrices, en acceptant qu’elles fassent partie de soi et de son identité.

En complément des thérapies classiques, il peut être intéressant de recourir à des techniques artistiques et à la médecine douce lorsqu’on traverse une période difficile. Les artistes formés au kintsugi sont d’ailleurs souvent sollicités par des personnes se trouvant à un moment particulier de leur vie. La réparation de l’objet revêt, pour elles, une signification importante dans leur processus de guérison.

Interview de Myriam Greff, restauratrice d’art française spécialisée dans la technique du kintsugi :

 

L’art du kintsugi a plus de 500 ans. Pour autant, ses principes philosophiques et esthétiques peuvent continuer de nous inspirer dans notre quotidien. Le concept du wabi-sabi nous amène ainsi à faire évoluer notre regard sur l’imperfection et l’usure du temps. Pour les personnes ayant vécu un traumatisme, puiser dans la symbolique du kintsukuroi peut également être une aide et une source d’enseignements. Que l’on désire découvrir une autre approche de la restauration ou expérimenter une forme originale d’art-thérapie, la technique du kintsugi est aujourd’hui accessible à tous.

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Florian Vigne, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Élodie, tutrice de formation chez FRW.

Sources principales :

https://esprit-kintsugi.com/
https://www.japanmagazine.fr/2020/07/31/kintsugi/
https://www.philomag.com/articles/kintsugi-lart-de-limpermanence