En littérature, la science-fiction est un genre à part entière. Sous forme de nouvelles, de romans ou de bandes dessinées, la SF mêle science, futur, avancées technologiques et réflexions philosophiques. Elle exploite et extrapole les possibilités offertes par les progrès scientifiques et techniques, dans des mondes imaginaires, parallèles ou à venir, pour aborder des enjeux sociétaux, moraux ou environnementaux.
Pourtant, malgré son influence culturelle et sa richesse intellectuelle, la science-fiction en littérature reste méconnue et sous-estimée. Cette situation est paradoxale : nombre de ses œuvres sont devenues des classiques. Elle est aussi navrante : nous nous privons de ce que la SF pourrait nous apporter. Ni plus, ni moins. C’est ce que nous allons esquisser, après avoir caractérisé cet univers via la terminologie de ses sous-genres et dressé divers constats sur le méjugement dont il souffre.
Qu’est-ce que la science-fiction ? Définitions et exemples d’œuvres
Certains diront que la science-fiction regroupe divers sous-genres. Cette terminologie est au moins intéressante pour décrire et expliciter les thèmes et concepts abordés. Sans chercher à être exhaustifs, appuyons-nous donc dessus.
L’anticipation
Jules Verne peut être considéré comme l’un des pionniers de l’anticipation, avec, notamment, De la Terre à la Lune (1865). Dans celui-ci, l’écrivain imagine, en s’appuyant sur les connaissances de son temps, comment un groupe de scientifiques et d’ingénieurs construisent un projectile habité. George Orwell, dans 1984 (1949), prolonge les dérives politiques observées à son époque pour dépeindre un avenir où la surveillance de masse régit la société. Avec des thématiques plus récentes comme les données personnelles ou les multinationales, l’ouvrage d’Alain Damasio Les Furtifs (2019) décrit la France dans quelques années.
L’anticipation s’appuie sur le présent pour construire un récit futuriste plausible. Elle reste ancrée dans une certaine réalité.
Le space opera
Le space opera se caractérise par des univers étendus, dans lesquels les notions de temps et d’espace sont abolies, et le mot « univers » embrasse ici tous ses sens. Il est question de voyage interstellaire, d’exploration spatiale, de colonisation, de civilisations extraterrestres, souvent « dans une galaxie lointaine, très lointaine ».
Fondation (Isaac Asimov, 1951), Dune (Frank Herbert, 1965) ou encore Les Seigneurs de l’Instrumentalité (Cordwainer Smith, 1993) en sont de fabuleux exemples. Dans les grands cycles de space opera, on suit rarement un seul et même personnage principal ; les perspectives et enjeux vont bien au-delà de lui.
Le cyberpunk
Les récits cyberpunk dessinent un monde résolument froid, sombre et corrompu. Technologies avancées et misère sociale y cohabitent. Cybernétique, corporations toutes-puissantes, déshumanisation et marginalisation des individus font partie de ses ingrédients essentiels.
Les emblématiques Neuromancien de William Gibson (1984) et Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? de Philip K. Dick (1968) ont défini l’identité visuelle et thématique du cyberpunk. Avec son esthétique singulière, celui-ci se prête parfaitement aux œuvres graphiques, à l’instar du manga Ghost in the Shell (Masamune Shirow, 1989).
La dystopie
Contrairement à l’utopie, la dystopie ne décrit pas un avenir idéal, mais un futur effrayant. Elle détaille une société organisée, et pourtant profondément défaillante et oppressante, marquée par l’injustice, le contrôle totalitaire et la privation de liberté.
Pour préserver le système de castes très hiérarchisé du Meilleur des mondes (Aldous Huxley, 1932), les êtres humains sont fabriqués en série et soumis à un conditionnement biologique et psychologique dès leur naissance. Fahrenheit 451 (Ray Bradbury, 1953) met en scène une société dans laquelle la censure est totale : les livres sont interdits et brûlés pour éliminer toute forme de pensée critique.
L’uchronie
L’uchronie explore des réalités alternatives ; l’Histoire a pris un cours différent de celui que nous connaissons. Ce point de divergence permet de réimaginer la suite, à la manière d’un « et si ? ».
Dans Le Grand Secret, de René Barjavel (1973), l’héroïne met au jour une découverte gardée volontairement secrète, ce qui a altéré le cours de l’humanité. Quant à l’intrigue du Déchronologue de Stéphane Beauverger (2009), elle se déroule dans un XVIIe siècle où les voyages dans le temps sont possibles et influencent les événements historiques.
Le post-apocalyptique
Le post-apocalyptique se concentre sur un monde ravagé par une catastrophe : une guerre nucléaire, une pandémie ou un effondrement climatique, par exemple. La civilisation telle que nous la connaissons a disparu ; il s’agit de survivre dans un environnement désolé, chaotique et hostile.
Ravage (René Barjavel, 1943) ramène les hommes à un état primitif à la suite de la disparition soudaine de l’électricité. Ceux-ci doivent tout reconstruire, en fuyant une ville de Paris en proie à la violence et aux pires instincts primaires. Dans Outresable (2014) et sa suite Outredune (2022), de Hugh Howay, le sable a tout englouti lors d’un cataclysme. Des plongeurs y descendent à la recherche d’artefacts de jadis, des trésors pour les habitants de la surface.
Il est évident que les frontières entre ces sous-genres sont parfois ténues ; certaines œuvres appartiennent à plusieurs, quand d’autres sont inclassables, comme les très poétiques Chroniques martiennes de Ray Bradbury (1950).
À quoi voit-on que la science-fiction en littérature est méconnue ? Quelques constats
Avant tout manifeste, il est possible d’établir quelques observations somme toute plutôt objectives.
La place de la SF en librairie
En entrant dans une librairie, on ne peut qu’observer très souvent que le rayon dédié à la science-fiction est minuscule. Elle est même parfois regroupée avec la fantasy sous l’étiquette « littératures de l’imaginaire ». Cette invisibilisation et cette mise à l’écart laissent croire aux lecteurs potentiels que ces ouvrages sont à part, peu importants et réservés aux initiés.
Les prix littéraires
L’absence de romans de science-fiction parmi les lauréats des prix littéraires « généralistes » est flagrante. Des distinctions prestigieuses comme le Goncourt ou le Renaudot les ignorent largement, préférant récompenser des œuvres plus consensuelles en termes d’appétence de lecture.
Heureusement, le genre a ses propres prix, comme le Grand Prix de l’Imaginaire ou le prix Hugo. Cependant, ceux-ci restent peu connus et reçoivent une couverture médiatique limitée, contribuant, là encore, à l’idée que la SF est une niche.
Stéréotypes et préjugés
Par ailleurs, cet univers souffre indéniablement de clichés et de jugements à l’emporte-pièce. Il est souvent perçu comme marginal, moins intellectuel, uniquement récréatif. Certains y voient seulement des récits de vaisseaux spatiaux aux confins de l’espace ou d’aliens malveillants. Pour eux, cela ne concerne donc que les geeks ; et ils ne vont pas au-delà. Cette vision réductrice nourrit le sentiment que la science-fiction n’est pas en mesure de traiter sérieusement des enjeux de notre monde. Comme souvent, stéréotypes et préjugés vont de pair avec méconnaissance et stigmatisation.
Le déclassement vers la littérature « blanche »
Pour contourner ces idées reçues et attirer une audience plus large, certains éditeurs semblent ne pas hésiter à « déclasser » des ouvrages de science-fiction en leur ôtant cette étiquette. Ils ne sont alors pas publiés au sein des collections dédiées. Ainsi, Chien 51 de Laurent Gaudé (2022) ou Panorama de Lilia Hassaine (2023) ne sont pas présentés comme les dystopies qu’ils sont pourtant. Certains y verraient une intégration au sein de la littérature générale, on peut néanmoins se permettre de ne pas être dupes.
La science-fiction dans la culture cinématographique
Maints films et séries se réclamant de la SF passionnent le grand public. La reconnaissance du genre est alors bien plus grande que dans le paysage littéraire. Et c’est d’autant plus paradoxal que la plupart de ces succès sont issus… de livres. En témoignent les récents Dune ou Le Problème à trois corps, adapté du roman de Liu Cixin. La liste est immense. On pourrait en citer ici pêle-mêle sans aucune exhaustivité, mais faites plutôt l’exercice vous-mêmes. Prenez un film ou une série relevant de la science-fiction, que vous avez aimé (il y en a forcément), puis renseignez-vous : il y a fort à parier qu’il s’agisse de l’adaptation d’une œuvre écrite.
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Pourquoi la SF mérite-t-elle une meilleure considération ? Les apports du genre
Il ne s’agit pas d’obliger quiconque à lire et à apprécier la science-fiction ; seulement d’exposer, dans ce qui ne peut être ici qu’une ébauche, pour quelles raisons nous avons tort de négliger son importance.
Ses valeurs littéraires
Un texte est souvent acclamé pour son écriture, sa structure, ses figures de style, la portée de ses propos, la patte de son auteur. Il est possible de mentionner également son originalité, ses personnages – hauts en couleur ou d’un banal confondant –, l’émotion qu’il provoque chez le lecteur.
Nombre des écrits cités précédemment peuvent prétendre à tous ces critères. Eux aussi peuvent être « bien écrits » ; ils ont une valeur littéraire en tant que telle.
Son imaginaire
Au côté de la fantasy, la SF a un pouvoir d’imaginaire sans pareil. Toutes deux nous projettent où on veut, quand on veut, dans n’importe quel univers. Avec elles, on peut rêver de tout, tout réaliser. Les contraintes et limites du réel s’évanouissent. Quelle autre forme d’écriture a la capacité de se targuer d’autant ?
Son sens critique
Cette liberté n’offre pas qu’un cadre pour raconter des histoires. Elle amène un support de réflexion : analytique, intellectuelle, et, osons le dire, philosophique.
La critique sociale est l’un des aspects centraux de la science-fiction. En transposant notre société contemporaine, l’auteur questionne notre rapport au pouvoir, aux technologies, à l’environnement. Il dénonce les dérives auxquelles nous allons faire face, quand nous n’y sommes pas déjà confrontés : le totalitarisme, la déshumanisation, le rejet d’autrui. En dessinant une représentation de l’autre pertinente, la SF permet une réflexion sur notre identité et la diversité. Autant de questionnements éthiques qu’il nous faut aborder si l’on ne veut pas que la pire dystopie ne devienne notre quotidien.
La science-fiction en littérature sait être belle, poétique, émouvante, envoûtante, drôle, intelligente, percutante, parfois douloureusement réaliste. Il est donc grand temps de la reconnaître à sa juste valeur, à sa juste place.
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Sonia Corvi, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Anne, tutrice de formation chez FRW.
Sources :
Connaissances personnelles de l’auteur
Qu’est-ce que la science-fiction ? Académie de Nantes
Crédit image : photo personnelle
Bonjouuur !
J’adore votre article, je le trouve bien construit, ça manque un peu de liens ou de sources pour aller encore plus loin, mais j’aime beaucoup !
J’aimerais savoir si vous m’autoriseriez à utiliser quelques passages pour une vidéo qui sortira sur ma chaîne ?
Merci encore et bravo pour le travail 😀 ! ♥.♥
Bonjour Maritza !
Bien sûr, mais pense à nous citer stp ! 😉
Merci à toi !