En 2018, le réalisateur Damien Chazelle revient sur l’histoire de Neil Armstrong, premier homme à avoir marché sur la Lune. Il restaure son statut de simple mortel et gomme celui de légende. L’épopée du célèbre astronaute de la NASA devient alors accessible, et il suffit d’un petit pas pour le spectateur pour embarquer au cœur de la mission Apollo 11 à la place de Neil Armstrong, ou presque. Découvrir le film First Man est une expérience vibrante qui propose une tout autre approche du biopic et dénote avec tous les films sur l’espace réalisés jusqu’ici. En attendant la sortie en salles fin 2022 du prochain long-métrage de Damien Chazelle, Babylon, nous vous donnons notre avis sur First Man et vous listons dans cet article quatre raisons de voir le film.
1. La réalisation hybride pour une immersion totale
Classé dans le genre biopic, First Man s’appuie sur des faits réels. Néanmoins, le film reste par nature associé à de la fiction puisque ces faits sont racontés sous un angle précis : celui d’un père qui, anéanti par la perte de sa fille, se noie dans le travail pour enterrer son deuil. Damien Chazelle souhaite que le public comprenne l’homme sous la combinaison spatiale et qu’il s’identifie à lui.
Comment susciter de l’empathie sans trahir la personnalité introvertie d’Armstrong ? Au-delà de l’utilisation de plans subjectifs permettant à l’audience d’adopter le point de vue du protagoniste, le réalisateur, caméra à l’épaule, propose une expérience sensorielle puissante, comparable aux réalités virtuelles. Le spectateur prend ainsi la place d’Armstrong et vit l’histoire (avec un « h » majuscule ou minuscule), comme s’il y était. Il voit ce que le pilote voit, et entend ce qu’il entend. À l’intérieur des cockpits, il subit les secousses et les bruits assourdissants de la carlingue malmenée par les propulsions. Dans le foyer familial, l’émotion devient palpable, poignante. Le public ressent les choses plus qu’il ne les observe à distance.
En parallèle, l’approche de Damien Chazelle s’identifie aussi à un film documentaire, donnant au spectateur quelques instants de répit. Telles des images d’archives de la NASA, certaines séquences, comme la préparation des astronautes avant l’embarquement, rendent au public sa place d’observateur. Le choix des plans est alors guidé par la nécessité de retranscrire un fait de manière brute, et non plus par des motivations uniquement esthétiques. La réalité heurte la fiction, et la subjectivité s’efface au profit de l’objectivité qu’exige toute forme de documentaire. La crédibilité du récit s’en trouve renforcée. Cette focalisation omnisciente nourrit l’imaginaire du spectateur et facilite davantage son identification au protagoniste puisqu’il s’approprie son environnement.
En floutant les lignes entre biopic et documentaire, le réalisateur permet à l’audience d’alterner les rôles de témoin et d’acteur. L’immersion est vertigineuse et le réalisme saisissant.
2. L’alunissage vu de l’intérieur : un argument incontestable pour découvrir le film First Man
« C’est un petit pas pour un homme, un bond de géant pour l’humanité. »
L’expérience immersive proposée par Damien Chazelle prend tout son sens lors de la séquence la plus attendue : l’alunissage. Enfermé dans le cockpit tremblant, étroit et sombre, le spectateur est assailli par des alarmes stridentes et un flot d’informations techniques relatées par le co-pilote Buzz Aldrin. Cette atmosphère écrasante colle le public au plus près de la réalité d’Armstrong, propulsé hors de sa zone de confort terrestre. Il prend alors conscience de la dangerosité et de la fragilité de la tâche dédiée aux premiers pas de l’homme sur la Lune, mais aussi du poids d’une telle mission pour un seul individu. Cette vision immersive et inédite de l’alunissage place en effet le spectateur dans la tête de Neil Armstrong, le pilote du module lunaire, mais surtout l’homme.
Pendant pas moins de six minutes, Damien Chazelle parvient à maintenir du suspense dans la reconstitution d’un évènement historique dont l’issue est pourtant connue de tous. Son secret : placer l’homme, et non la mission, au cœur de son odyssée cinématographique. À ce stade du film, le spectateur est au fait des enjeux personnels de Neil Armstrong et a un besoin presque viscéral de le voir réussir. Il sait qu’atteindre son objectif lunaire n’est pas lié à une volonté d’entrer dans l’Histoire, mais à une quête profonde de sens, relative à ses échecs, ses sacrifices, et sa vie plus largement. Le public ressent donc la tension du climax émotionnel que traverse l’astronaute américain : le suspense ne repose plus sur l’issue de la mission, mais bien sur l’impact que celle-ci aura sur l’homme qui l’a menée.
Le spectateur se surprend à retenir son souffle devant les images de l’alunissage, comme au moment critique précédant la collision entre le Titanic et l’iceberg. La puissance de ce passage est due à la profonde empathie que l’audience a développée pour le protagoniste tout au long du film. Damien Chazelle signe ici une séquence réaliste, poignante et surtout humaine, comme on en observe peu dans les films de conquête spatiale au cinéma.
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3. Le casting stellaire choisi pour raconter la vie de Neil Armstrong
La période traitée par le réalisateur correspond à la décennie qui a lancé l’ambition de la découverte du sol lunaire et toutes les missions nécessaires pour y parvenir. La concrétisation de cet objectif en juillet 1969 ne représente en réalité qu’un faible pourcentage du film dédié à Neil Armstrong, ce qui n’est pas forcément explicité dans le synopsis de First Man. L’accent est mis sur le quotidien et la personnalité du pilote qui réussira cet exploit. Armstrong était cérébral, pragmatique et peu expressif.
Pour Damien Chazelle, personne ne pourra revêtir cette combinaison mieux que Ryan Gosling, dont le sang-froid et le stoïcisme avaient fait fureur en 2011 dans le film Drive. Le défi de l’acteur pour First Man est d’aider le spectateur à comprendre ce que vit l’astronaute en restant, la grande majorité du temps, impassible. Ryan Gosling surmonte cette difficulté avec brio en générant des émotions profondes grâce à un langage du corps et des coups d’œil éloquents. L’acteur canadien est particulièrement loué pour sa capacité à éteindre son regard, et dans le cas de Neil Armstrong, cela traduit tour à tour une placidité déroutante et une détresse désarmante. Le jeu unique de Ryan Gosling dans ce rôle permet de rester fidèle à la personnalité énigmatique de l’astronaute tout en libérant assez de place pour l’interprétation du spectateur.
Claire Foy incarne l’épouse, Janet. Faisant écho à son rôle de souveraine britannique dans la série The Crown, ses silences résonnent comme des mots, laissant transparaître une force et un aplomb remarquables. Sa performance, empreinte de pudeur, reflète la réalité de la famille Armstrong où l’on se disait peu les choses. Bouleversante de vérité et de justesse, l’interprétation de Claire Foy nourrit aussi par extension le portrait de Neil Armstrong, car révélatrice de la façon dont il était perçu. L’intériorité de Neil et de Janet dessine les contours d’un couple complexe mais lié, qui se comprend sans se parler.
Pour une émotion authentique, le film First Man est à voir en version originale, si vous le pouvez.
4. La bande originale épique qui accompagne l’homme et la mission spatiale
La critique d’un film de Damien Chazelle passe nécessairement par l’analyse de la bande originale. L’auteur de Whiplash et La La Land a en effet prouvé l’importance du 4e art dans sa filmographie. De concert avec son compositeur et ami Justin Hurwitz, le réalisateur franco-américain utilise une fois de plus la musique pour donner plus de dimension à ses personnages. Pour quelques scènes familiales, une harpe épure et guide la mélodie, soulignant le côté intimiste. Douceur et nostalgie transparaissent. L’orchestre se fait plus riche et triomphant pendant les moments de forte tension spatiale. Appréhension et démesure dominent.
Travaillée pour décrire une réelle évolution, la bande originale reste plutôt contenue jusqu’au lancement de la mission Apollo 11 pour la conquête de la Lune. En chœur avec Armstrong, elle bouillonne sous la surface jusqu’à l’étape cathartique de l’alunissage, où le grand orchestre est déployé. Le thérémine apparaît comme le fil rouge de ces compositions. Instrument phare des films de science-fiction des années cinquante et soixante, le thérémine réagit aux mouvements des mains et crée des sons sans contact physique. Justin Hurwitz atténue l’aspect futuriste associé à cet instrument en rapprochant au maximum ses mélodies d’une voix humaine. Ce parti pris émotionnel s’avère particulièrement poignant lorsque Neil Armstrong affronte sa propre face cachée sur la Lune : le deuil non résolu de sa fille.
Récompensée par un Golden Globe, la bande originale de l’épopée de Neil Armstrong résonne comme une bouleversante ode à la résilience de l’Homme. Elle pousse à la réflexion, inspire autant qu’elle apaise, et rappelle les bienfaits de la musique sur l’esprit humain.
Le titre du film en version originale ne mentionne pas notre satellite naturel, et pour cause. Damien Chazelle salue avant tout l’homme qui a vécu cette odyssée spatiale historique de juillet 1969 et qui, ne l’oublions pas, avait une chance sur deux d’y laisser la vie. Devenu une icône de la toute-puissance des États-Unis, Neil Armstrong a été déshumanisé malgré lui, car porteur d’un objectif planétaire forgé par une humanité conquérante. Par son approche subjective, le réalisateur de La La Land souligne le contraste fort entre la fragilité d’un homme et la grandeur de ce qu’il est capable d’accomplir. Vous ne regarderez plus la Lune de la même façon !
Nous vous avons convaincu de découvrir le film First Man ? Ou vous avez le mal des transports et préférez éviter les modules lunaires ? Dites-le-nous en commentaire !
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Magaly Robert, pour e-Writers.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Agathe, tutrice de formation chez FRW.
Sources :
Flickering Myth | Interview de Justin Hurwitz
Hollywood Reporter | Interview de Justin Hurwitz
Konbini | Interview de Damien Chazelle