Nos sociétés occidentales souffrent aujourd’hui d’une déconnexion grandissante : avec les autres, avec la nature et avec soi-même. Et si les cultures ancestrales millénaires détenaient la clé d’un retour à l’équilibre ? Direction Cuzco, capitale de l’ancien Empire inca, dont le nom original quechua Qosqo signifie « le nombril du monde ». Ici, les traditions de la cosmovision andine perdurent, font la fierté de leurs communautés indigènes et rythment le quotidien et les saisons.

Les principes de la symbologie des Andes

La cordillère des Andes représente l’épine dorsale de l’Amérique du Sud, s’étendant du nord de l’Argentine et du Chili jusqu’en Colombie, en passant par la Bolivie, le Pérou et l’Équateur. La mythologie andine, de même que le chamanisme d’Amazonie, représentent des sagesses précolombiennes qui, depuis des millénaires, prônent une vie en harmonie avec la nature. Selon les croyances andines, tout est vivant : jusqu’aux pierres, aux montagnes, aux plantes et à l’ensemble du cosmos.

Yanantin et Masintin : le dualisme complémentaire

Ces deux termes quechuas représentent la complémentarité des opposés : le soleil et la lune, la lumière et l’obscurité ou encore le masculin et le féminin. On peut retrouver cette idée dans le taoïsme avec le yin et le yang. Cette philosophie reconnaît leur interdépendance, là où l’un n’existe pas sans l’autre, et les deux sont nécessaires en vue d’un ensemble harmonieux. Elle réaffirme également les notions de collaboration, de respect et d’égalité malgré les différences.

Par ailleurs, l’idée que tout dans l’univers se trouve inexorablement en mouvement ne permet pas d’identifier une vérité suprême. Aussi, les Andins voient davantage une danse entre les opposés plutôt qu’un combat vers un vainqueur ultime. Ils valorisent davantage ce qui les unit plutôt que ce qui les différencie.

Yanantin représente ainsi la relation et l’union entre deux êtres ou concepts opposés. Masintin symbolise l’expérience de cette relation, la force née de cette alliance et la création qui en découle.

Les 3 mondes

Dans la tradition des Andes, le cosmos est divisé entre trois mondes :

  1. Hanan Pacha : le monde du divin et du spirituel, représenté par le condor. Il s’agit du royaume supérieur où existent les Dieux les plus importants : Wiracocha (Dieu créateur), Inti (Dieu du soleil) ou encore Mama Quilla (Déesse de la lune).
  2. Kay Pacha : le monde de la vie humaine et animale, symbolisé par le puma. On y trouve Pachamama (souvent traduite comme « la Terre Mère » ; son sens est plus large, « la Mère de l’univers » serait plus approprié) ou Mama Wayra (Déesse du vent).
  3. Ukhu Pacha : le monde inférieur du subconscient, incarné par le serpent. Il comprend tout ce qui se situe sous la superficie de la Terre. Mama Cocha, la Déesse de la mer, en fait partie.

La chakana et la wiphala

La chakana, ou « croix du sud », constitue la synthèse de la cosmovision andine. Elle représente le pont permettant à l’Homme de maintenir son union au cosmos. Les symboliques qui lui sont attribuées sont multiples. On y retrouve, entre autres, la représentation des trois mondes, les directions cardinales et les quatre saisons. Le cercle intérieur symbolise le point de rencontre des dualités.

La chakana : symbole de la cosmovision andine

Représentation d’une chakana avec, en ses points cardinaux, le condor, le serpent et le puma symbolisant les trois mondes. Credit Photo : Renato P Castilho sur iStock.

La chakana se compose également de quatre wiphalas, rappelant les quatre régions de l’Empire inca, ou Tawantinsuyu. Au-delà du drapeau et de l’emblème des communautés andines, la wiphala symbolise l’équilibre d’une vie en harmonie. Formée de 49 carrés de taille identique, chacune des sept couleurs constitue l’un des piliers de la mythologie andine.

La wiphala : le drapeau des peuples des Andes.

La wiphala représente les peuples originaires des Andes. La couleur de la diagonale centrale permet d’identifier l’une des quatre régions de l’ancien Empire inca. Crédit photo : Namchetolukla sur iStock.

Sumaq Kausay, la plénitude de la vie

À l’heure où les jeunes générations doivent faire face à l’éco-anxiété, les communautés des Andes apportent des pistes de réflexion. Kausay signifiant « vie », Sumaq Kausay pourrait se traduire littéralement comme le « bien vivre ».

Pour les peuples quechuas, la vie se doit d’être vécue « de manière digne, en harmonie et en équilibre avec l’univers et l’être humain : pour résumer, Sumaq Kausay signifie la plénitude de la vie ». (Ariruma Kowii, écrivain et homme politique équatorien).

Pour cela, les populations andines intègrent différents niveaux de conscience pour inspirer leurs actions. L’amour (Munay), la sagesse (Yachay) ou encore la réciprocité (Ayni) en font partie.

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Les cérémonies de la cosmovision andine

Le « pago a la tierra », rituel d’offrande à Pachamama

Pacha signifie « Univers » en quechua et est conçue comme la mère dans le sens où elle symbolise la création originelle. On la trouve ainsi souvent personnifiée sous la forme d’une femme enceinte. Elle représente aussi la fertilité par l’abondance de ses richesses naturelles : source de vie, d’eau ou encore de nourriture.

Le paiement à la terre perdure à travers les Andes afin d’honorer la mère de l’univers. Ces rites se réalisaient bien avant la civilisation inca. Le 1er août est défini comme le jour de Pachamama et les festivités en son honneur sont particulièrement importantes. À cette époque de l’année, on prépare le sol avant de planter les premières graines. À la fin de la saison sèche, il est de coutume de dire que la terre est assoiffée et qu’il convient de la nourrir.

Il est donc d’usage de remercier la nature pour son abondance, tout en élevant ses prières pour de bonnes récoltes à venir. Cette démarche entre dans le concept de réciprocité de l’Ayni, fondamental dans la culture andine. Elle permet de tisser un lien étroit entre l’Homme et les esprits de la nature, empreint de respect et de gratitude.

Le despacho constitue l’ensemble des offrandes délivrées durant une cérémonie en reconnaissance à la terre.

« Les Incas abordaient l’agriculture les armes à la main et les prières aux lèvres. » – T. N. D’Altroy (The Incas, Peoples of America, 2014, Éditions Wiley-Blackwell).

Representation de la chakana en offrande a Pachamama.

Une cérémonie andine en hommage à la terre à Cuenca, Équateur. Les offrandes sont disposées sous la forme d’une chakana. Crédit photo : Iryna Kurilovych sur iStock.

Inti Raymi, cérémonie au Dieu soleil

Il s’agissait de la plus importante célébration inca en l’honneur de Tayta Inti (Père soleil). Elle a été établie par l’Empereur Pachacutec durant la décennie 1430 et la dernière cérémonie en présence de l’Inca eut lieu en 1535, un an avant la conquête espagnole. De nos jours, une reconstitution a lieu chaque année à Cuzco lors du solstice d’hiver (24 juin).

Cette révérence au soleil se remarque particulièrement lors d’une visite sur les traces de la civilisation précolombienne au Machu Picchu. En effet, on pourra y constater que les autels les plus importants se situent à l’est, là où la lumière jaillit chaque jour au cœur des majestueux sommets.

Si l’Inti Raymi représentait la célébration de l’Empereur, il est toujours d’usage de se rendre sur un ancien site archéologique et d’accueillir le lever du soleil à cette date. Le solstice d’hiver reste aujourd’hui le symbole du renouveau et de la nouvelle année andine.

Une nouvelle ère annoncée par les peuples indigènes

Une mobilisation globale

La jeunesse se sent de plus en plus concernée par les enjeux environnementaux et appelle au changement. De leur côté, les communautés indigènes aussi se rassemblent : pour la survie de leur habitat et de leurs traditions, mais également pour la planète dans son ensemble.

Si les peuples autochtones honorent les ancêtres et leurs enseignements, sans qui nous ne serions pas sur Terre, il est aussi de coutume de penser aux futures générations dans ses actions. Pour avoir connu la répression dans l’expression de leurs cultures, ils ont longtemps préféré rester dans l’ombre. Mais depuis une vingtaine d’années, de nombreux leaders spirituels ont senti l’appel de partager leurs sagesses avec le monde extérieur.

Les prophéties des cultures ancestrales

Alors que les Andins attendent avec ferveur le Pachakutiq, une nouvelle ère de changement et d’équilibre, il est également souvent fait référence à la Prophétie du Condor et de l’Aigle. Les Q’eros, descendants directs des Incas, déclarent que « lorsque l’aigle du nord et le condor du sud voleront ensemble, les peuples de la Terre Mère se réveilleront et le monde connaîtra la paix ». Cette prophétie se retrouve largement à travers les communautés indigènes du continent américain, notamment chez les Hopis et les Mayas.

La tribu lakota quant à elle fait référence à la vision de Crazy Horse qui annonce une époque survenant sept générations après le premier contact avec les Européens.

« Après souffrances sur souffrances, le peuple rouge se relèvera et il s’agira d’une bénédiction pour un monde malade. Un monde fait de promesses brisées, d’égoïsme et de séparations. Un monde cherchant la lumière à nouveau. Je vois une ère de sept générations où toutes les couleurs de l’humanité se réuniront sous l’arbre de vie sacré et l’ensemble de la Terre reformera un cercle. Ce jour-là, il y aura ceux parmi les Lakotas qui portent la connaissance et la compréhension de l’unité de tous les êtres vivants ; et les jeunes blancs iront vers mon peuple chercher la sagesse. » – Crazy Horse, Chef Lakota

 

 

Les cultures ancestrales ont tant à partager et à nous enseigner pour envisager l’avenir avec sagesse. Comme le faisaient les Incas, la bio-inspiration revendique aujourd’hui l’étude de la nature et du vivant sous toutes ses formes à des fins d’innovation : s’en inspirer plutôt que la piller. L’observer et l’écouter pour retrouver cette connexion intérieure avec le Tout qui nous entoure.

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Patricia Béard, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW
Article relu par Jade, tutrice de formation chez FRW

 

Sources :

« Yanantin and Masintin in the Andean world – Complementary dualism in modern Peru », Hillary S. Webb, University of New Mexico Press

« El Sumak Kawsay », Ariruma Kowii, rapport des Nations Unies, Département des Affaires économiques et sociales

« La importancia de realizar la ofrenda a la Tierra en los Andes », Yemily Cristina Cruz Quispe, 2017, Universidad Peruana Cayetano Heredia

« The fulfillment of the prophecy of the reunion of the Condor and the Eagle is accelerating », Phil Lane Jr, Chef des Nations Ihanktonwan Dakota et Chickasaw, Four Worlds International Institute, 2014.

« Envisioning Crazy Horse’s prophecy coming true », Kenneth G. White Jr, Navajo Times