Au cœur de cet été 2022 caniculaire, la nouvelle est tombée, véritable douche froide pour les amateurs de junk food : suite à la faillite de ses franchises locales, Domino’s Pizza quitte la botte italienne. Comment expliquer le fiasco de l’enseigne américaine de restauration rapide, leader mondial de la livraison de pizzas à domicile, dans le pays où la margherita est reine ? À l’heure où les défis écologiques exigent la mise en place de solutions responsables et durables, en quoi l’échec de Domino’s Pizza en Italie peut-il constituer un authentique espoir ?
La patrie de Dante et de la restauration lente
La naissance du Slow Food
Dès 1986, la Botte manifeste sa défiance envers les fast-foods. Cette année-là, à Rome, McDonald’s ouvre son premier restaurant italien. En réaction, Carlo Petrini fonde le mouvement Slow Food sous la forme d’une association culturelle internationale dédiée au « droit au plaisir ». Ce projet hédoniste vise à élaborer une gastronomie nouvelle basée sur la durabilité (environnementale comme sociale) de l’agriculture. Il s’attache à la sauvegarde de la biodiversité et des traditions, à la promotion des filières courtes, ainsi qu’à l’éducation au goût et à l’alimentation responsable. En quête d’authenticité et d’excellence, le mouvement défend un art de vivre où le local et le global, loin de s’opposer, s’alimentent et s’enrichissent l’un l’autre.
Les revers infligés à McDonald’s
Au début des années 2000, à Altamura, dans les Pouilles, un McDonald’s doit se résoudre à plier bagage. La raison ? La concurrence, fatale, de Luigi Digesù, un boulanger local installé à proximité. En effet, la qualité des produits proposés par l’artisan (spécialiste de la focaccia, un pain plat qu’on peut garnir de tomates, d’olives, d’oignons…) pousse les clients à déserter le fast-food voisin, jusqu’à provoquer sa fermeture. Cette fable insolite et rafraîchissante sera portée à l’écran, sous la forme d’un documentaire réalisé par Nico Cirasola, en 2009 : Focaccia blues.
En 2016, Dario Nardella, le maire de Florence, s’oppose à l’ouverture d’un restaurant McDonald’s sur la piazza del Duomo, lieu emblématique de la Renaissance. Un projet définitivement avorté après que l’Unesco a tranché en faveur de l’élu transalpin. Soutenu par la population, Nardella choisit de préserver l’intégrité du patrimoine architectural et culturel florentin, quitte à en subir les dommages collatéraux. Suite à ce camouflet, le colosse étasunien réclamera à la municipalité 18 millions d’euros. Sans avoir donné corps à la prophétie* d’Andy Warhol, pape du Pop Art :
« The most beautiful thing in Florence is McDonald’s »
La fidélité à l’espresso original
En 1999, Dunkin’ Donuts tente de s’implanter en Italie, mais doit renoncer au bout de seulement… 3 ans ! En cause, le rapport qu’entretiennent les locaux avec le café. Car la Botte n’est pas seulement le pays de la pizza, c’est aussi celui de l’espresso. Servi dans un dé à coudre, et au comptoir du bar du coin, on l’engloutit, comme son nom l’indique, en un éclair. Aux antipodes, donc, de la version américaine XXL sirotée dans un gobelet à soda.
En 2018, Starbucks débarque à Milan. La capitale lombarde constitua une source d’inspiration pour Howard Schultz, son directeur général. Pourtant, l’implantation de l’enseigne américaine en Italie demeure fragile ; elle se limite aujourd’hui à une quinzaine d’établissements, répartis au nord du territoire. Pire, en début d’année, deux boutiques milanaises ont fermé. Car à l’attachement des Italiens envers leur espresso, rituel économique (autour d’1 €), s’ajoutent les prix élevés de Starbucks. Pour la célèbre sirène, le constat est amer : ne parvenant pas à séduire les locaux, sa survie dépend désormais des touristes.
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Faute de recette, le géant américain contraint au départ
Une pandémie fatale au monopole
Avec plus de 18 000 boutiques réparties autour du globe, Domino’s Pizza est aujourd’hui la plus grande entreprise de livraison de pizzas à domicile au monde. Elle apparaît en Italie en 2015. En début d’année, on n’y comptait pourtant que 29 magasins. Cet été, faute d’avoir réussi à s’y implanter, la chaîne de restauration rapide américaine abandonne la Botte.
Selon ePizza, société gérant le réseau de franchises italiennes, Domino’s Pizza est une victime collatérale de la pandémie. À son arrivée, le poids lourd étasunien peut s’appuyer sur ce qui fait sa force : son système de livraison à domicile. À partir de 2020, les confinements successifs changent la donne. Pour survivre, les commerces et restaurants locaux doivent, eux aussi, proposer ce service à leurs clients. Ainsi, le marché transalpin de la livraison de nourriture devient, au fil du temps, extrêmement concurrentiel. Dépossédé de son atout principal, Domino’s Pizza est considérablement affaibli. Et ne s’en relèvera pas.
Un plat national abordable
D’autres facteurs peuvent expliquer cette déroute. Pensons au tourisme. De passage dans la Botte, les voyageurs en quête de hamburgers iront volontiers au McDonald’s ; en revanche, on les imagine mal se rendre à Domino’s Pizza alors même qu’ils visitent la patrie de la margherita !
Par ailleurs, la pizza y demeure un plat populaire, parce que peu cher. Au contraire, les prix proposés par l’enseigne américaine sont relativement hauts ; ils dépassent même souvent ceux des pizzerias locales. Car il y a cette réalité : en Italie, dans le domaine culinaire, la qualité se révèle accessible au plus grand nombre. Elle n’est pas réservée à une élite. Habitués au bon, les palais sont aiguisés, donc exigeants. Et en conséquence, davantage critiques envers les fast-foods.
Un fossé culturel et gustatif
Enfin, comment ne pas évoquer le choc des cultures ? Née à Naples, aujourd’hui icône nationale, la pizza est une œuvre minimaliste ; très simple, elle contient peu d’ingrédients. Aux yeux des puristes, il n’en existe d’ailleurs que deux versions : la tricolore margherita (tomate, mozzarella, basilic frais, sel et huile d’olive) et la marinara (tomate, ail, origan et huile d’olive). Toute sa richesse tient à l’excellence des produits qui la composent et à son élaboration artisanale, issue d’un savoir-faire séculaire. Less is more !
En écho au Vatican, la cuisine a ici valeur de religion et obéit à d’authentiques Commandements : « Dans la carbonara, point de crème fraîche tu ne verseras » ; « Sur la pizza, point d’ananas tu n’ajouteras », etc. On ne peut reprocher à Domino’s Pizza son manque de courage, ni même de témérité. Mais proposer aux Italiens toutes sortes de combinaisons baroques, semblables aux pires blasphèmes, avouons que le combat était, en réalité, perdu d’avance. Ainsi la pizza hawaïenne, la pizza cheeseburger ou encore la pizza au poulet rôti n’auront pas, manifestement, rencontré leur public. Rideau.
L’échec de Domino’s Pizza en Italie : une victoire en forme d’espoir
Une réalité aux saveurs multiples
Soyons clairs. Bien sûr, on voudrait assister là au triomphe immaculé et définitif de David contre Goliath, comme l’ont exprimé d’autres médias. C’est en partie vrai, mais tâchons néanmoins de nuancer. Au contraire des comptes défaits, les contes de fées sont rares.
Évidemment l’Italie, elle aussi, cède à la malbouffe. À défaut d’y resplendir, les KFC ou autres Burger King y trouvent leur place. Au sortir du premier confinement de 2020, la Botte, à l’instar de l’Hexagone, offrait aux regards des images surréelles. On garde en mémoire ces files de voitures inondant les routes, ces embouteillages de désir et d’impatience célébrant la réouverture des McDonald’s. Comme autant de claques infligées aux rêveries d’alors, et à la possibilité de voir émerger le « monde d’après ».
D’autre part, le confinement a accéléré un phénomène déjà perceptible depuis quelques années : l’essor des produits – et des pizzas – surgelés. Ainsi, en volume, les achats en ligne d’aliments congelés ont augmenté de 145 % en 2020, puis de 20,6 % en 2021. Pourtant, ces mutations liées au mode de consommation n’ont pas rapproché les Italiens de Domino’s Pizza. Parce que bien moins onéreuses, les pizzas surgelées se sont au contraire révélées, pour le géant américain, un obstacle supplémentaire.
Le début de la faim
En dépit de ces glissements, un constat demeure : l’échec de Domino’s Pizza en Italie apparaît comme une lueur. C’est la victoire, scintillante, de la pizza artisanale sur la pizza industrielle. De la gastronomie durable sur la restauration éphémère. Liée à l’esprit et à l’art de vivre défendus par le mouvement Slow Food, elle a valeur d’espoir. Elle est la revanche à contre-courant de la qualité sur la quantité, du goût sur la voracité, des petits producteurs et des petits commerçants sur l’anonymat des multinationales. Elle nous rappelle que rien n’est jamais écrit, ni perdu d’avance. Et que chacun de nous peut être acteur. Car au moment où s’achève l’histoire, le dernier mot appartient au consommateur !
Ici, ce qu’a défendu et préservé la Botte, c’est également son patrimoine, sa spécificité ; en d’autres termes, sa singularité. La faillite italienne de Domino’s Pizza envoie ainsi à l’Europe, voire au globe tout entier, un message vertueux, comme une invitation à l’affirmation. Car c’est de cela qu’il s’agit : résister à la standardisation et à l’uniformisation rampantes. Devenir tous identiques nous ferait perdre, en vérité, toute identité. Voyager serait alors dénué de sens, puisque l’ailleurs aurait disparu. La prédiction d’Andy Warhol, elle, deviendrait réalité.
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*Citation de Warhol complète :
« The most beautiful thing in Tokyo is McDonald’s. The most beautiful thing in Stockholm is McDonald’s. The most beautiful thing in Florence is McDonald’s. Peking and Moscow don’t have anything beautiful yet. »
Jérémy Ruiz, pour e-Writers.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Nelly, tutrice de formation chez FRW.
Sources :
Slow Food | Sites italien et français
Altamura | Libération
Florence – Warhol | La Repubblica
Starbucks | MilanoToday
Domino’s Pizza | Wired
McDonald’s | Dissapore
Surgelés | askanews