« Je n’ai rien fait aujourd’hui ». Combien de fois avez-vous prononcé cette phrase ? Alors que votre journée, certes calme, fût remplie d’activités diverses et variées : lecture, méditation en pleine conscience, visionnage d’un reportage, etc. Malgré une frénésie émergente autour du développement personnel et du bien-être, la société nous pousse à considérer comme inutile et dévalorisante toute occupation non rentable. Nous nous devons de viser la productivité et la reconnaissance à tout prix, au détriment de notre santé. Bienvenue dans l’ère des to-do list débordantes ! « Ne rien faire » est une activité coupable, honteuse. Les moments de temps libre ne le sont pas tant : nombreux sont ceux qui se heurtent à l’ennui et fuient l’inaction en se plongeant dans leur smartphone. Faire, plutôt que penser : voilà ce que nous propose la société contemporaine. Pourtant, vous allez découvrir grâce à cet article les bénéfices de l’oisiveté.
L’inaction : une compétence méprisée par la société
Ne rien faire, c’est refuser de participer au bon fonctionnement du monde. Se tourner les pouces, c’est insulter le salarié honnête. Un individu qui ne travaille pas profite du système. Une personne qui se prélasse au soleil en semaine : n’en parlons pas ! Bref, vous l’aurez compris : l’inaction est réellement méprisée par la société française.
« Je pense que l’oisiveté ne désagrège que ceux qui manquent de consistance »
– Albert Camus, 1962.
Toute la période de votre vie entre la couche culotte et la maison de retraite doit être dédiée à la rentabilité. Le célèbre « Je pense donc je suis » de Descartes a pris la poudre d’escampette : désormais, il faut faire pour être. Vous voilà embarqué dans la course du toujours mieux, toujours plus vite. « Travailler plus, pour gagner plus ». À quel prix ?
Même lors de votre temps libre, ou vos vacances, vous vous imposez un planning stressant pour réaliser vos objectifs, pour pouvoir visiter tel ou tel monument, pour « ne pas louper quelque chose ». Aussi, le moindre petit moment creux laisse la culpabilité et le malaise s’emparer de vous.
Qui ne sort pas son téléphone ou un livre lorsqu’il attend quelque chose ? Vous avez peur du regard des autres et vous vous sentez incapable de rester passif. Ces précieuses minutes ne devraient-elles pas être mises à profit pour répondre à vos mails ? Il est toujours question de performance et de rentabilité. Ne rien faire est méprisé, dénigré. Et pourtant, cette pratique n’est pas aisée !
Le moment ne serait-il pas venu de retrouver le goût des heures qui défilent ? Reprenez racine sur Terre, en observant les étoiles, et réalisez que monnayer votre temps n’est pas le seul moyen de le faire passer.
L’art de ne rien faire : une véritable philosophie de vie
Selon Emily Nagoski, thérapeute, l’idéal est de dédier 10 heures par jour au repos. Rassurez-vous ! Vous en passez déjà environ 8 à dormir. Ça, c’est fait. Dédiez les deux dernières heures à la pratique d’activités qui laissent l’esprit vagabonder.
Je ne souhaite pas vous faire l’apologie de la fainéantise, encore moins vous apprendre à procrastiner. J’ai à cœur d’aborder dans cet article l’art de ne rien faire, pour de vrai.
Non, il ne s’agit pas de méditer. Cette activité à la mode implique de « faire » : trier ses pensées, entraîner sa concentration et travailler sur sa respiration. Nous avons évoqué l’incapacité à patienter dans la partie précédente. Mais « attendre » n’est pas « ne rien faire en plein conscience ». Il y a une nuance, et c’est en cela que c’est un art de vivre. Il ne s’agit pas de s’impatienter en remuant du pied et de penser à tout ce que vous auriez eu le temps d’accomplir.
Rester immobile, sans activité ni pensée particulière représente un challenge. Et ce, même pour les pratiquants acharnés de la paresse ! Coupez-vous de toute stimulation : radio, téléphone, bambins qui hurlent, etc. Prenez le temps d’être. Durant ce laps de temps, vous devrez rester là où vous vous trouvez, en votre propre compagnie, sans parler.
L’art de ne rien faire, c’est être capable d’être présent dans la « non-action » qui permet alors, selon le psychiatre Christophe André, de tout ressentir, de tout voir et de tout écouter.
⏭️ Aficionado du travail : l’idée de consacrer deux heures journalières au repos vous donne de l’urticaire ? Remplacez-les par du deep work🤓.
L’oisiveté au-delà des frontières : une perception différente
Dans les pays du Nord, un autre regard est porté sur le repos et le temps non rentable. Pour preuve, un vocabulaire spécifique existe pour décrire le fait de prendre quelques instants pour être calme et heureux. Au Danemark, tout le monde connait le hygge, sentiment de bien-être développé en passant un moment réconfortant et chaleureux à la maison. Aux Pays-Bas, c’est le niksen qui est en vigueur : ne rien faire, et sans culpabiliser !
« La noblesse se conserve par l’oisiveté ; ne rien faire, c’est vivre noblement »
– Victor Hugo, 1866.
Parcourons quelques milliers de kilomètres supplémentaires autour du globe et rendons-nous en Inde. Vous avez peut-être entendu parler des baba sâdhu. Ce sont des hommes que l’on appelle des « renonçants », samnyâsin en hindou. Ils quittent la société et abandonnent toutes leurs possessions et leurs désirs. C’est un choix reconnu parmi la population indienne qui fait l’objet d’une réelle cérémonie. Le samnyâsin n’est alors plus vraiment perçu comme un individu : il devient une sorte de mort-vivant. Sa famille hérite de ses biens et son épouse, s’il en a une, est considérée comme veuve. Il ne lui reste alors plus que sa bienveillance à apporter à tout être croisant son chemin.
Les sâdhus sont respectés et admirés. Personnages emblématiques de l’Inde, ils peuvent prendre le bus gratuitement et les habitants leur apportent de la nourriture. Solitaires, ils initient parfois des disciples à ce mode de vie une fois leur quête spirituelle accomplie.
Ces quelques exemples nous prouvent bien que de ne pas participer à la société, comme le fait la masse, n’est pas une tare. Cela n’empêche pas le monde de tourner : les beatniks (jeunes qui rejettent les normes de la société, le travail régulier pour privilégier le voyage et la liberté) ont testé, ça n’a pas fonctionné. La conception de l’oisiveté est réellement culturelle.
La vacuité : des bénéfices inestimables
La « non-action » est assimilée à la fainéantise : chaque instant vide vous fait culpabiliser. Pourtant, celle-ci apporte de réels bénéfices physiques et mentaux. Être inactif plonge le cerveau dans un état que l’on appelle le « réseau par défaut ». Le neurologue Marcus Raichle a mis en lumière le fait que le cerveau humain est dans son état normal lorsque celui-ci est oisif. L’Homme dispose d’une sorte de « mode avion », qui le coupe des communications extérieures, mais lui permet de rester performant ! À l’instant où l’on effectue une tâche, le cerveau active alors le « réseau exécutif ».
Fait surprenant : le cerveau, lorsqu’il est au repos, utilise 20 % de l’énergie du corps humain. La réalisation d’une tâche fait augmenter cette consommation de seulement 5 % ! Ainsi, ne rien faire est une pratique intellectuelle et utile pour les économies d’énergies : devenez un écocitoyen !
Être en stimulation permanente provoque fatigue et stress. Ces deux phénomènes physiologiques entravent le bon fonctionnement de :
- votre organisme ;
- votre système immunitaire ;
- vos hormones ;
- votre digestion.
À l’inverse, rester en « réseau par défaut » stimule des zones spécifiques du cerveau qui permettent de :
- régénérer vos cellules grises ;
- mémoriser ;
- classer les informations ;
- gérer vos émotions ;
- résoudre des problèmes.
Peu importe que vos collègues pensent que vous paressez, ou que votre conjoint vous surprenne inerte sur votre fauteuil. Ils s’habitueront, et cela vous permettra de vous offrir du repos cognitif et sensoriel. Vous voilà moins stressé, plus créatif et en meilleure santé… Sans rien faire ! Que demander de mieux ?
🧠💤 Pour aller plus loin, plongez dans votre cerveau endormi.
Les conseils pratiques : ne rien faire au quotidien
Dans une société hyper productiviste qui méprise les adeptes de la sieste et ceux qui ne « font rien » : comment ne rien faire et dépasser la culpabilité qui peut vous envahir ? C’est simple, faites comme le Duc dans « The Big Lebowski » (ou comme moi pour rédiger ce dernier paragraphe) : absolument rien !
En bref, apprendre à ne rien faire vous permet de vous émanciper et d’aborder le quotidien avec plus de sérénité. C’est un excellent moyen d’entretenir votre cerveau pour devenir plus efficace et avoir de meilleures idées. Halte-là ! Voici un petit défi pour vous : posez votre téléphone, ou éteignez votre ordinateur. Dites-moi en commentaire combien de temps vous avez réussi à demeurer inactif avant de vous replonger dans votre écran.
Ninon pour e-Writers.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Clémence, tutrice de formation chez FRW.
- Les sources :
- Burn out solve your stress circle – Amelia and Emily Nagoski
- Philosophie magazine – Hors-série septembre 2023
- Ne rien faire, le meilleur moyen de lutter contre le stress et l’anxiété.
- L’éthique dans l’univers indien et hindou, pistes d’exploration et amorces de réflexion
- Universalis : samnyasin.
- Le réseau cérébral par défaut : un repos qui n’en est pas un.
Superbe article très bien rédigé et très instructif
Merci
Ravie de voir que mon article t’a plu 🙂 Merci pour ton commentaire !
J’ai tenu deux minutes à ne rien faire avant de regarder l’heure en me demandant combien de temps j’avais résisté 😱
Super article Ninon ! Je ne me suis pas ennuyée une seule seconde en te lisant !
Merci Anne-Sophie 🙂
Super article qui me parle vraiment! Ça fait réfléchir…
Plus qu’à mettre en place du RIEN dans ta vie 😀
Une bonne petite claque nécessaire pour nous rappeler que non, la société actuelle n’est pas faite pour nous offrir du répit. Chaque seconde est monnayable, l’illusion du repos, de la zenithude, du chill, de l’amusement… rien n’est fait pour que l’on se repose, se concentre sur soi, sur le sens, la nature, la vie,… cela ne rapporte rien. Merci de nous démonter qu’il est nécessaire de ne pas s’oublier
Bel article
Une belle petite claque qui a pour effet une prise de recul, finalement bien essentielle.
Très bien construit et pertinent. Bravo
Merci Ninon, excellent article et nécessaire ! Rappelons-nous que nous sommes autre chose que des rouages de cette société productiviste ! <3