Nous sommes en 1837. Le peintre français Jacques Amans, alors très en vogue en Louisiane, représente sur une toile les trois enfants d’une famille bourgeoise en compagnie de Bélizaire, leur domestique. Sur fond de guerre de sécession et de ségrégation raciale, l’esclave noir sera effacé du tableau avant de réapparaitre en 2005 grâce à l’œil aguerri d’un collectionneur. Récemment acquis par le Metropolitan Museum of Art de New York, Bélizaire et les enfants Frey constitue un témoignage exceptionnel de l’histoire culturelle américaine.
Bélizaire, le protégé de la famille Frey
En 1828, Bélizaire est vendu aux enchères à la famille Frey. Il a 6 ans. Sa mère est cuisinière mais de son père on ne sait rien. Les Frey habitent dans une maison bourgeoise de La Nouvelle-Orléans.
Dès lors, le garçon noir devient domestique et compagnon de jeu des trois enfants du couple. D’après les archives de l’époque, il semble même jouir d’un statut particulier au sein de cette famille puisqu’il suit le père, banquier fortuné, dans ses nombreux voyages.
En 1837, les Frey passent commande d’une huile sur toile auprès de Jacques Amans, portraitiste local de renom. Leurs trois enfants posent à côté de Bélizaire, âgé alors de 15 ans. Bien que séparé de ses petits camarades sur le tableau, il n’a pas l’air d’un domestique comme les autres. Son regard poétique et sa position en surplomb tranchent avec la représentation picturale habituelle des esclaves au XIXe siècle.
Des quatre enfants de la toile, seul Bélizaire atteindra l’âge adulte. Le patriarche décèdera également prématurément. Mme Frey, ruinée, revend l’esclave, alors âgé de 34 ans, à un exploitant de canne à sucre. Ce sont les seules informations dont les historiens disposent pour le moment.
De l’oubli au souvenir ravivé du jeune esclave noir
Bélizaire finit par être recouvert d’une couche de peinture, comme s’il s’agissait de nier son existence à jamais. D’après Craig Crawford, expert en restauration d’œuvres d’art, l’esclave aurait été gommé de la toile vers 1900.
Comment l’expliquer ? Au temps de la ségrégation raciale, il était sans doute inconcevable pour des personnes blanches d’exhiber un tableau figurant une personne noire. Il se peut aussi que les descendants aient préféré supprimer le jeune homme pour nier le passé esclavagiste de la famille.
En 1972, l’arrière-arrière-petite-fille de Coralie Frey, fait don de l’œuvre au Musée d’art de La Nouvelle-Orléans. Celle-ci en révèle la particularité au conservateur de l’époque. Mais le tableau, intitulé alors Trois enfants dans un paysage, reste en l’état pendant plusieurs années sans qu’aucun travail de restauration ne soit engagé.
La toile est revendue en 2004 et il faut attendre 2005 pour gratter la couche de peinture qui recouvrait le jeune domestique.
C’est grâce au collectionneur Jeremy Simien que cette œuvre prend une nouvelle signification. Intrigué lorsqu’il découvre pour la première fois le tableau restauré sur un site d’enchères en 2013, il engage alors l’historienne Katy Shannon pour faire la lumière sur Bélizaire. Il finit par acquérir le tableau en 2021 avant de le revendre au Metropolitan Museum of Art de New York.
Cette récente acquisition du MET s’inscrit dans la volonté des musées américains d’intégrer à leurs collections des représentations de la population noire, longtemps reléguée au second plan dans les lieux de culture. Après des années d’oubli, Bélizaire retrouve sa juste place aux yeux de tous et c’est une excellente nouvelle !
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Luc Jelsch pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Périne, tutrice de formation chez FRW.
Sources :
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/898196
https://www.nytimes.com/interactive/2023/08/14/video/belizaire-frey-children-portrait-met.html
