La nature est une vraie bibliothèque dans laquelle on puise des connaissances depuis le début de l’humanité. Leonardo da Vinci disait déjà à ses élèves : Allez prendre vos leçons dans la nature, c’est là qu’est votre futur. Il fut le premier à théoriser le biomimétisme : copier le vivant pour développer le progrès technique. Face à la pression environnementale exercée par notre société productiviste est né le concept de bio-inspiration. Cette nouvelle approche répond au besoin urgent de préserver l’environnement durablement. Mais quelle différence y a-t-il entre ces deux notions ? Quelles innovations ont-elles déjà permis ? Pourquoi la bio-inspiration peut-elle sauver l’humanité ?

Du biomimétisme à la bio-inspiration

Ces deux concepts sont interchangeables

Souvent utilisés l’un à la place de l’autre, ils ne sont pas encore stabilisés. Il semble que le terme de bio-inspiration, plus générique, prenne le dessus ces dernières années. Néanmoins, une réflexion est toujours en cours au niveau international pour normaliser leur lexicologie. En effet, nombre de scientifiques y voient un champ d’action plus large qui ne se limite pas à l’innovation médicale, technologique ou industrielle. Plus créative, elle peut inspirer de multiples domaines : socio-économique, artistique, esthétique et culturel. Préférée au biomimétisme dont les applications mimétiques sont encore polluantes, cette nouvelle approche étudie davantage le fonctionnement de l’écosystème. Elle se veut plus écologiste et affiche une volonté d’habiter le monde autrement.

Le Muséum national d’Histoire naturelle a d’ailleurs présenté cette même vision dans son document de cadrage de 2020 intitulé « Bioinspire-Muséum ». Par ses actions d’expertise et de soutien aux politiques publiques, il entend promouvoir et coordonner la bio-inspiration dans toute l’étendue de ses activités. Une démarche bioéthique qui nécessite un lien viscéral avec le vivant, indispensable à la lutte contre le déclin de la biodiversité. Les domaines esthétiques, artistiques et culturels sont donc au cœur du projet pour favoriser la prise de conscience du bien-être que la nature procure. Établir ce lien émotionnel est jugé essentiel pour opérer un changement de mentalité et encourager des pratiques plus respectueuses de l’environnement.

Plus moderne et fédératrice, la bio-inspiration est en vogue

Cette nouvelle ferveur pour la bio-inspiration relaierait-elle le biomimétisme au second plan ? Si l’on se réfère à son étymologie, il se définit comme la copie de forme et structure vivante. Il serait le premier niveau ou le premier degré de la bio- inspiration. Plus ouverte, cette dernière fait appel à la transposition et à l’adaptation des principes et des stratégies élaborées par les micro-organismes jusqu’aux écosystèmes. Elle ne transige pas sur la protection de la biosphère, ce qui n’est pas toujours le cas du biomimétisme selon certains spécialistes. Malgré la dimension écologique que lui a donnée la biologiste Janine Benyus 1, la polémique se poursuit et il est facile de s’y perdre ! Au-delà des barrières sémantiques, ce glissement linguistique démontre une évolution positive des consciences qui valorise la richesse du monde et promet un avenir durable. « La voie de la bio-inspiration » est à l’honneur ! Une thématique développée par la Cité des Sciences dans son exposition permanente pour réinventer le monde.

Exemples d’innovations bio-inspirées

De plus en plus d’entreprises s’inspirent du vivant à des fins d’innovation. De nombreux projets collaboratifs interdisciplinaires ont déjà abouti ou sont en cours pour relever le défi environnemental.

Le scratch « velcro »

Si l’on remonte aux premières applications technologiques qui reproduisent un phénomène naturel, l’exemple le plus célèbre de matériau biomimétique est cette fameuse bande autoagrippante. Inventée par Georges de Mestral en 1941, elle imite la fleur de Bardane, dont les graines s’accrochent sur différentes surfaces grâce à leurs crochets élastiques.

Le scotch « GECKSKIN »

Une colle ultrarésistante et réutilisable inspirée du gecko. Ce lézard adhère à toutes les surfaces qu’elles soient verticales ou à l’envers grâce aux microscopiques poils de ses pattes. Il est capable de soutenir une force près de 30 fois son poids. Les chercheurs de l’Université du Massachusetts s’en sont inspirés pour créer le « Geckskin ». Sa puissance d’adhésion permet pour une bande de 40 cm2 de supporter une charge de plus de 300 kg ! 

Le TGV japonais

Le Shinkansen, l’un des plus rapides du monde, se déplace à plus de 300 km heure grâce à son nez aérodynamique. Sa modélisation à partir du bec du Martin-pêcheur, a permis de résoudre son problème de bang sonique au passage des tunnels. Cet oiseau plonge de l’air dans l’eau facilement pratiquement sans éclaboussures, ce qui n’a pas échappé à l’ingénieur chargé des essais. Résultat ? Le TGV est plus silencieux et économise 15% d’énergie. On peut espérer à long terme voir des trains avec un mode de fabrication plus écologique et une empreinte carbone diminuée.

Le projet architectural Alguesens

Situé dans le quartier Masséna du 13e arrondissement de Paris, il ambitionne de faire vivre en symbiose l’humain avec la nature. Quatre bâtiments : l’Algo house, la Plant house, la Tree house et la Lombric house offrent une oasis de verdure au sein de l’espace urbain. Cette invention citadine est surtout connue pour la grande bio façade installée sur l’Algo house, produisant des microalgues destinées à la recherche médicale. Régulation thermique naturelle, dépollution et consommation énergétique ont été améliorées. Sans oublier le développement de l’agriculture urbaine puisque la Plant house accueille près de 2000 m2 de jardins et potagers. Une prouesse architecturale et environnementale qui tente de répondre aux enjeux essentiels de la survie des écosystèmes !

Projet architectural bio-inspiré

Lauréat du concours « Réinventer Paris », ce projet a été conçu par les architectes du cabinet XTU et MU. Source : Ceebios

L’écoquartier Darwin

Un modèle pour de futures villes durables situé sur la rive droite de Bordeaux. Différentes stratégies y sont appliquées pour repenser la cité comme un écosystème qui doit fournir les mêmes niveaux de performance écologique que le natif. Ce projet multidimensionnel combine économie verte, sociale, solidaire et créative, et encourage les comportements écoresponsables. « Terrain de jeu » de l’innovation, on y trouve par exemple une ferme qui expérimente de nouvelles formes d’agricultures urbaines bio-inspirées telles que l’aquaponie ou la permaculture.

🙏 Mettons-nous « au vert » ! Chacun peut contribuer au développement durable par des gestes simples qui donnent du souffle à la bio-inspiration. 

⏭ Découvrez d’autres innovations : biomimétiques ou bio-inspirées ? Faites votre propre avis et, si cela vous inspire😉, partagez vos idées !

La nature : meilleur modèle de prospérité sur terre 

Son économie est durable !

L’homme dit de lui-même qu’il est le plus intelligent des êtres vivants, de quoi donner de l’eau au moulin, n’est-ce pas ? S’il est aussi ingénieux qu’il le prétend, pourquoi persiste-t-il à détruire la terre nourricière qui l’accueille ? Il maintient un système aberrant fondé sur la consommation démesurée des ressources naturelles où l’économie périclite. Il met en péril sa propre espèce, il rejette en masse ses déchets, pollue, alimente les guerres et entretient des inégalités infâmes.

À l’heure où une prise de conscience collective devient urgente, concevoir une société bio-inspirée apparaît comme la solution à tous les maux. De plus en plus plébiscitée, médiatisée, faisant l’objet de nombreux projets dans tous les secteurs, la bio-inspiration promet de nouveaux horizons pour réinventer un avenir soutenable. Certes, de quoi rassurer et apporter de l’espoir, mais en sera-t-on capable ? Aller au-delà de la simple imitation de la nature pour se « réinsérer gracieusement dans la biosphère », tel est l’objectif.

Ainsi, étudier tous les principes du vivant simultanément est le fondement de cette approche novatrice. Outre l’observation des formes et des matières, des processus et des méthodes, le fonctionnement de l’écosystème entier doit nous guider. Car la nature est talentueuse pour élaborer durablement avec une grande économie de moyens ! Si les espèces peuvent produire à température et pression atmosphérique ambiantes sans recours à des substances d’appoint toxique, autant s’en inspirer. Leur performance surpasse celle obtenue par les êtres humains dans leur mode de fabrication. Les écosystèmes sont capables d’utiliser les déchets comme ressources, de capter et employer l’énergie avec efficacité, de se diversifier et coopérer pour enrichir leur habitat… Profitons de leur savoir-faire ! Forte de quatre milliards d’années d’évolution, la nature a su s’adapter et résoudre la plupart des problèmes auxquels nous devons faire face aujourd’hui.

C’est une économie de la connaissance !

Comme l’explique brillamment Idriss Aberkane 2, nous avons davantage intérêt à exploiter la nature comme une source d’informations, plutôt qu’uniquement comme ressource matérielle. Ainsi, substituer une économie de la connaissance infinie à notre économie marchande et financiarisée de matières premières serait la voie de la prospérité sur terre. Une approche qui permet de dépasser l’idée que la croissance repose nécessairement sur ce que nous pouvons prendre dans la nature. Un changement de paradigme qui propose de basculer d’une économie finie vers une économie infinie, de ressources matérielles vers des ressources immatérielles. En adéquation avec nos préoccupations environnementales.

Qu’on préfère le terme de biomimétisme ou celui de bio-inspiration plus en vogue, tous deux portent le projet d’une philosophie partagée pour une révolution biomimétique durable. Micro-organismes, plantes, animaux, champignons, bactéries et écosystèmes constituent un véritable laboratoire de recherche au service de la transition écologique. Mais, l’humanité est encore loin de se servir de ce puits de connaissances infinies. Cela ne pourra se faire sans un changement radical dans notre rapport avec la nature, immense bibliothèque de livres précieux ! Nous devons cesser de la brûler, apprendre à la lire et à la préserver. La bio-inspiration est une approche très prometteuse, mais elle ne doit pas être détournée pour asseoir un modèle productiviste. Comme le disait Richard Buckminster Fuller « Il n’existe pas de crise énergétique, de famine ou de crise environnementale. Il existe seulement une crise de l’ignorance. » L’intelligence collective à l’image du vivant pourrait solutionner notre futur à condition qu’elle comprenne son interdépendance étroite avec la nature et qu’elle collabore.

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1. [Janine M. Benyus est une scientifique américaine, consultante en innovation. Elle a rendu le biomimétisme populaire à travers le monde, grâce à son livre : Biomimétisme, quand la nature inspire des innovations durables. Elle nous fait découvrir des applications efficaces et respectueuses de l’environnement. Titre original : Biomimicry, Innovation Inspired by NatureÉdition originale : HarperCollins, 1997, et 2002 traduit de l’anglais par Céline Sefraoui]

2. [Expert en neurosciences et en géopolitique, Idriss Aberkane est conférencier et consultant international. Il est aussi chercheur au Kozmetsky Global Collaboraty de Standford et ambassadeur de l’Unitwin (UNESCO) pour la section système complexe. Également, professeur à Centrale-Supélec et chercheur à Polytechnique. Ainsi que président de la fondation Bioniria (fondation suisse pour la bio-inspiration).]

Caroline DELLOUE, pour e-Writers

Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.

Article relu par Anne, tutrice de formation chez FRW.

Sources :

Editions Ellipses

Cairn.info

Vie publique-rapport

Muséum national d’Histoire naturelle

CNRS Le journal

Bioinspire-Museum-document de cadrage

Cité des Sciences

Ceebios-Projets urbains

France Culture

Quartier durable-Ecosystème Darwin