Chut ! Pas un bruit. La forêt amazonienne révèle ses secrets aujourd’hui. Êtes-vous prêts à tendre l’oreille et écouter son chuchotement. Shaman, chaman, chamane, dit-elle en sifflotant. Je suis la forêt d’Amazonie. Je m’étends sur neuf pays différents d’Amérique latine, sur 6,9 millions de km2. J’héberge et je protège 5 % de la population mondiale. Vous, les humains, m’appelez votre poumon vert. Oui, c’est certain. Je joue un rôle essentiel dans l’équilibre de votre air. Avec mes capteurs verts, je stocke 40 % de la planète Terre (1) . Et pourtant, je suis menacée comme ces tribus autochtones que j’abrite. Parmi elles vit celui qui chuchote à mon oreille : le chamane d’Amazonie. Ou plutôt, ne serait-ce pas moi qui lui insuffle mon savoir ?

Appelé sorcier ou guérisseur, l’homme-médecine attire vos pas sur mon humus. J’ai observé ces dernières années, beaucoup d’entre vous, déferler à ses pieds à la recherche de guérison, mais surtout une soif de renouer avec la nature. Est-ce un hasard ? Consciente des enjeux écologiques, l’Europe redécouvre le chamanisme étudié par Mircea Eliade dès les années 1950 et par Claude Lévi-Strauss. Anthropologues et ethnologues se penchent sur le chamane d’Amazonie pour en comprendre ses rôles et traditions dans la culture amérindienne. Moi, forêt d’Amazonie, je vis avec ces tribus autochtones ; elles honorent ma nature et me respectent. Cet homme est mon intermédiaire entre votre monde visible et mon monde invisible. Je lui laisse la parole.

Le chamane d’Amazonie : un rôle et une tradition en harmonie avec la nature

« Ne pensez pas que la forêt soit morte, posée là sans raison. Si elle était inerte, nous ne bougerions pas non plus. C’est elle qui nous anime. Elle est vivante. On ne l’entend pas se plaindre, mais la forêt souffre, tout comme les humains ». Davi Kopenawa, 2003.

Davi Kopenawa, chamane amérindien

Davi Kopenawa, chef chamane de la communauté d’Amérindiens Yanomami de la forêt amazonienne du Brésil. Source : https://www.autresbresils.net/Davi-Kopenawa-le-Yanomami-qui-accuse

Qu’est-ce qu’un chamane ? Un intermédiaire, pas comme les autres !

Je suis guérisseur en Amazonie. Dans mon village, les membres de ma tribu me sollicitent pour se débarrasser d’une maladie, obtenir une meilleure récolte, régler un problème familial ou relationnel. J’ai appris à maîtriser cela « au cours d’initiations éprouvantes pour négocier toutes sortes de bienfaits ou d’agressions au profit de ma communauté (2) ». Mon allié, c’est la forêt. Dans la tradition amérindienne, nous, populations d’Amazonie, partageons notre quotidien avec les animaux, les plantes, les éléments, sans rapport de domination. Nous communions avec la nature qui nous entoure. Vous, vous parlez d’animisme. Chez nous, plusieurs mondes concomitants existent : celui des esprits, des morts et des vivants. Mon rôle ? Je voyage parmi eux pour apporter des réponses à ceux qui viennent me consulter.

La pensée chamanique : Magique ? La nature protège !

urubu, oiseau rapace d'Amérique latine

Urubu, oiseau mythique dans la culture Wayana, source : https://pixabay.com/fr/photos/urubu-floride-nature-oiseau-animal-5909356/

Pour les Wayana, tribu située au sud de la Guyane, une montagne ou une liane connecte le ciel et la terre.Un lien très fort existe entre l’oiseau urubu et les Wayana : « grâce à leurs plumes, obtenues par un système de troc, les hommes parviennent à mieux chasser. Ceux-ci, à leur tour, doivent leur laisser le reste de la viande dont ils profitent (3) ». Pour approfondir la découverte des Wayana 🤓 : https://pib.socioambiental.org/pt/Povo:Wayana

Alerte danger ! L’Amazonie disparaît : une menace pour la culture amérindienne et le chamanisme 

Chaque jour, nous constatons nos arbres coupés, notre terre creusée pour satisfaire des besoins en pétrole, en or, en minerais. Chamanes, nous lançons l’alerte : notre forêt est menacée. Notre prise de parole dans vos médias n’est pas sans danger. Nous risquons notre vie et cherchons des appuis solidaires et politiques à notre cause. Pour soutenir les populations amérindiennes 🥹, c’est par ici 😜 : http://www.survivalinternational.org

Le « guérisseur blessé » : rites et initiations en Amazonie

 Un long processus initiatique pour devenir chamane

Beaucoup se posent cette question : comment puis-je devenir chamane ? Chez les Yagua, une communauté de l’Amazonie péruvienne (4) , j’ai vécu ma propre « maladie » et ma propre « mort » pour renaître de mes os déchiquetés. La « maladie initiatique » ou « maladie-vocation » a joué un rôle essentiel pour moi : j’ai dû surmonter ma propre affection pour être en mesure de guérir celle des autres. C’est pourquoi on m’appelle le « guérisseur blessé ».

En transe au rythme des plantes et des chants

Je connais la préparation des breuvages basés sur des substances hallucinogènes pour atteindre la transe. Cet état modifié de conscience me permet de quitter mon corps, de me déplacer dans des mondes parallèles, de prendre des apparences diverses et de dialoguer avec différentes espèces. Parfois, je chante ou un instrument de musique m’accompagne pour effectuer mon voyage chamanique : un voyage dans d’autres réalités. Au cours de celui-ci, j’apprends ma propre médecine chamanique pour me guérir et ensuite pour guérir les autres.

L’homme-médecine : outils et usages du soin chamanique

« Il n’y a pas de raison de douter, en effet, que les sorciers, au moins les plus sincères d’entre eux, ne croient en leur mission, et que cette croyance ne soit fondée sur l’expérience d’états spécifiques ». Lévi-Strauss, 1958

Revêtir la parure dans tout rituel 

Le chamane utilise une parure composée de plumes, de dents d'animaux et de peintures

Parure traditionnelle d’un chamane d’Amazonie, source : https://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2009/05/amazonieterre-de-visionsse-faire-une-peau-danaconda-ou-lart-de-la-parure.html

Au cours de mon initiation, en tant qu’homme-médecine, j’ai reçu des peintures corporelles (5), elles sont ma « peau sociale ». Les motifs sont créés et standardisés par l’ensemble de la communauté. Je porte également des ornements de plumes et des pendants d’oreilles lors de cérémonies. Chaque couleur a sa signification et lorsque je porte sur moi une dent d’un animal, elle signifie à ma communauté que j’ai acquis sa médecine.

Les plantes parlent. Non, vous n’hallucinez pas !

Un chamane yanomami raconte : « nous inhalons sa poudre (fabriquée à partir de l’écorce de la virola) pour entrer en état de revenant. C’est ainsi que nous faisons danser les esprits. Ces derniers ne descendent de la montagne qu’à l’appel des chamanes. Ils veillent sur nous et connaissent les maux qui nous affligent. Ils les extirpent du corps des malades. Ils nous guérissent ». Cet hallucinogène intensifie les couleurs et tous les sens sont exacerbés. Tout devient profondément lumineux. Beaucoup d’Européens viennent aujourd’hui en Amazonie pour goûter l’ayahuasca, surtout au Pérou, mais aussi en Colombie et en Équateur. Mais cette plante mal dosée peut avoir des conséquences graves (nausées, vertiges, agressivité, mort parfois).

Une drôle de partition musicale : la danse du chamane d’Amazonie

Le hochet est un instrument de musique utilisé par les chamans pour guérir

Le hochet du chamane joue un rôle essentiel pour appeler les esprits, source : https://pixabay.com/fr/photos/hochet-hochet-de-chaman-6273767/

En Amazonie, nous nous connectons à la nature par le son.

Reproduire des mélodies d’oiseaux ? Impossible. Pour nous, un quotidien. Nous communiquons avec les animaux et les esprits pour les honorer.

Le soir, les membres de la tribu se réunissent au son des trompes, clarinettes et flûtes pour célébrer ! Guérisseur j’utilise les chants, des notes sifflées par la flûte ou un simple hochet pour rentrer en transe et ainsi remplir pleinement mon rôle d’intermédiaire entre le visible et l’invisible.

 

 

 

Nous, chamanes d’Amazonie, espérons par cet article, une prise de conscience de votre part. La forêt est importante pour notre culture, mais également pour préserver l’équilibre de notre planète Terre. Pour terminer, nous laissons le dernier mot à la forêt d’Amazonie :

« Couper des arbres, cela use mon sol et le tasse. Au fur et à mesure, je m’affaiblis. Prenez soin des arbres et de votre air. Je lance ici une invitation à tous ceux qui souhaiteraient s’engager, nous aider, nous soutenir ou venir en Amérique du Sud ! »

Sources :

1 https://planet-vie.ens.fr/thematiques/ecologie/cycles-biogeochimiques/role-des-forets-dans-le-bilan-de-carbone-de-la-planete  

Claude Guislain, New Age et Chamanisme en forêt, Cas d’étude en Amazonie péruvienne, mémoire encadré par Mme le Professeur Anne-Marie Losonczy,  Université libre de Bruxelles, 2006-2007. http://www.neip.info/downloads/Guislain.pdf

Kopenawa et Davi et Albert Bruce, Yanomami. L’esprit de la forêt, Fondation Cartier, Paris, 2003.

Jean-Pierre Chaumeil, Voir, savoir pouvoir, le chamanisme chez les Yagua de l’Amazonie péruvienne, Georg Editeur, Genève, 2000. http://www.geopsy.com/chamanisme/voir_savoir_pouvoir.pdf

Exposition Amazonie, le chamane et la pensée de la forêt, Musée d’ethnographie de Genève, 2016-2017, Genève. https://www.ville-ge.ch/meg/pdf/486.pdf

 

Article et infographie réalisés par Laure Pasquet, pour e-writers

Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.

Article relu par Thibaut et Nelly, tuteurs de formation chez FRW.