Aaah l’Académie française … Quelle institution prestigieuse. Et le surnom des académiciens, quelle classe : les immortels. On dirait une famille de super-héros, comme les indestructibles ! D’ailleurs, eux aussi portent un costume, un bel habit vert, et même une épée ! Certes, ils seraient bien en peine de s’en servir, la moyenne d’âge étant fort élevée sous la Coupole… Mais peu importe, ils luttent sur un autre terrain : la défense de la langue française. Contre les terribles anglicismes qui l’envahissent, contre les femmes qui voudraient y être visibles, contre les jeunes qui ne maîtrisent plus les règles d’orthographe ni de grammaire. La langue française est entre de bonnes mains ! Pas vraiment, en fait : grammairien·nes, lexicographes, et autres linguistes ne tarissent pas de critiques envers l’Académie française. Systématiquement, ses prises de position font l’objet de polémiques, ses recommandations sont moquées et décriées par les expert·es de la langue. Querelles de spécialistes ? En réalité, même en tant que simple utilisateur·rice de la langue française, on peut faire bien des reproches aux académiciens. En voici quelques exemples, pour en finir avec la respectabilité dont se pare indûment cette poussiéreuse institution.

Première raison d’en vouloir aux immortels : leur élitisme nuisible

Au XVIIe siècle, l’orthographe n’est pas fixée. En Europe, on décide donc d’établir des normes d’écriture. En 1634, Richelieu fonde l’Académie française, avec cette mission : « donner des règles certaines à notre langue » (site de l’académie française, statuts et règlements). Dès lors, on peut commencer à maudire les immortels. Car deux tendances existent pour transcrire la langue parlée :

  • L’orthographe phonétique, au plus proche de la prononciation.
  • L’orthographe étymologique, alors appelée « ancienne orthographe », élaborée selon les racines du mot.

Dans de nombreux pays, l’orthographe phonétique est privilégiée. Les académiciens français, eux, choisissent l’orthographe étymologique, bien plus compliquée. Ainsi, on écrira orthographe en français, et ortografia en espagnol ou italien. Le projet est de rendre la langue écrite difficile d’accès, et d’en conserver le privilège. Un des tout premiers immortels justifie ainsi leur choix :

« [L]’ancienne orthographe distingue les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes » (Mézeray, site de l’Académie française)

Les conséquences de cet élitisme originel sont multiples.

  • La difficulté d’apprentissage : quand les enfants espagnols apprennent que le son o s’écrit o, les petit·es Français·es hésitent entre o-au-eau-ot-aud-aut-op-oh. Nos écolier·ères ont le droit de détester les académiciens ! Apprendre à lire et à écrire leur prendra en moyenne un an supplémentaire.
  • L’aggravation des problèmes liés à la dyslexie : ce trouble est particulièrement handicapant dans les pays à l’orthographe étymologique. En France, les personnes dyslexiques bataillent au quotidien, les enfants peinent dans leur scolarité.  Le choix critiquable des immortels a lourdement compliqué leur rapport à l’écrit.
  • L’insécurité linguistique : c’est ce sentiment d’inconfort, injuste et très répandu en France, qui saisit une personne adulte quand elle doit écrire dans sa propre langue : un mail professionnel, un courrier aux impôts, et nous voilà paniqué·es à l’idée d’y laisser des fautes. Au point, parfois, d’y renoncer. Merci l’Académie !

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Deuxième reproche aux académiciens : leur incompétence manifeste

Hormis fixer les règles d’orthographe, quel est le rôle de l’Académie française ? Les statuts prévoyaient qu’elle compose et tienne à jour une rhétorique (traité d’art oratoire), une poétique (traité d’art littéraire), une grammaire et un dictionnaire. Bilan.

  • Rhétorique et poétique : aucune parution.
  • Grammaire : une seule a été publiée, en 1932. Elle contenait tant d’erreurs qu’elle fut ridiculisée par les grammairiens de l’époque.
  • Dictionnaire : la dernière édition complète date de…1935 ! La 9e édition est en cours depuis 1986. Nos vaillants académiciens en sont actuellement à la lettre S. (Rappelons que Larousse et Le Robert publient une nouvelle édition chaque année.) On ne saurait trop leur recommander la lecture de cet article : booster et atteindre ses objectifs.

En revanche, l’Académie ne se prive pas de donner son avis sur la langue : elle commente son évolution, elle préconise ou condamne certains emplois. Or, qui sont les spécialistes de l’élaboration des dictionnaires ? Les lexicographes. Qui est qualifié pour écrire une grammaire ? Les grammairien·nes. Qui est compétent pour commenter l’évolution du français ? Les linguistes.

Combien de lexicographes, grammairiens, et linguistes sous la Coupole ? Aucun. Mais alors, qui sont nos académiciens ? Pêle-mêle : des écrivains, historiens, magistrats, hommes d’État ou d’Église… Certes, ils ont une bonne maîtrise de la langue française. Mais aucun n’a scientifiquement étudié son fonctionnement. Cela revient à se déclarer web-developer au motif qu’on sait surfer sur internet. Les membres de l’Académie sont incompétents pour parler de la langue. C’est une critique récurrente, mais c’est surtout un fait.

On notera qu’ils n’ont plus le pouvoir de décider quoi que ce soit, et que leur avis est purement consultatif. Heureusement, car ils profèrent régulièrement des inepties qui font bondir les véritables expert·es. Ils répandent notamment l’idée que la langue française serait en danger, appauvrie, menacée. Idée vivement combattue et démentie par les spécialistes.

Autres critiques contre l’Académie française : sexisme, racisme et homophobie

L’Académie est une institution misogyne, raciste, et homophobe. Voici de quoi vous en convaincre.

  • « Le masculin l’emporte sur le féminin ». On connaît cette règle. Elle stipule que si un adjectif porte sur des noms masculins et féminins, il faut l’accorder au masculin : « Des femmes et des hommes beaux ». Autrefois, on pouvait parfaitement mettre l’adjectif au genre du nom le plus proche : « ces trois jours et ces trois nuits entières » (Racine, Athalie, 1691). Mais les académiciens décrètèrent que « le genre le plus noble » devait l’emporter. Et de préciser :

    « Le genre masculin est réputé plus noble que le genre féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. » (Nicolas Beauzée, cité par Laélia Véron et Maria Cadea, Le français est à nous !, 2019)

  • Jusqu’au XVIIe siècle, des noms féminins comme autrice, peintresse, ou doctoresse étaient couramment employés. Les académiciens les déclarèrent incorrects, leur refusant une place dans leur dictionnaire. Ils s’opposeront jusqu’en 2019 (2019 !) à la (re)féminisation des noms de métiers. Cela concerne uniquement les fonctions dites prestigieuses, institutrice ou coiffeuse ne les ont jamais dérangés. On se passera volontiers de leur autorisation pour célébrer les poétesses féministes !
  • Depuis 1634, 743 membres ont siégé à la Coupole, dont seulement 11 femmes. La première, Marguerite Yourcenar, est élue en 1981. A grand peine. Sucitant cette ignominie de l’académicien Gaxette : « Si l’on élisait une femme on finirait par élire aussi un nègre. » (cité par Eliane Viennot, L’Académie contre la langue française, 2015, p.193)
  • Seuls deux auteurs noirs sont devenus académiciens. Léopold Sédar Senghor, en 1983, et Dany Laferrière en 2013.
  • Pour des termes comme gouin*e ou n*gre, Le Robert précise « injurieux » ou « raciste ». Le dictionnaire en ligne de l’Académie, lui, indique : « parfois jugé offensant », ou « vieilli ». Le même dictionnaire définit le mariage comme « l’union d’un homme et d’une femme ». Dix ans après le mariage pour tous.

Alors, faut-il vraiment respecter ce que dit l’Académie française ?

Encore un motif de se moquer de l’institution : ses propos ridicules !

Accordons toutefois aux immortels le talent de nous faire rire. Florilège de leurs meilleures blagues :

  • Dans leur rubrique Dire, ne pas dire, les immortels suggèrent de remplacer follower par « acolyte des illustres ». Aucune vanne à ajouter, cela ferait double emploi. Ils recommandent aussi d’éliminer « Ça se fight » au profit de « On peut en débattre ». Rien à voir, donc. Et ils préfèrent « joueur animateur en direct » à streamer. « On a transformé Zerator en Jean-Pierre Foucault ! » s’amuse Charline Vanhoenacker. Quel substitut proposeraient-ils pour les mad skills ? Les folles compétences ?
  • Sur Arte, Erik Orsenna explique qu’il n’aime pas le mot écrivaine car il contient vaine. La journaliste rétorque qu’écrivain contient vain. Flottement chez l’académicien. Il n’y avait pas pensé ! (rapporté par Maria Candea, entretien pour la revue Ballast, 2017)
  • Déclaration de l’Académie sur l’écriture inclusive : « Devant cette aberration inclusive, la langue française se trouve désormais en péril mortel ». En péril mortel ? Carrément ? L’autrice de l’article Travail scolaire : accompagnez votre enfant en restant serein.e devra assumer sa part de responsabilité lorsque le français s’éteindra brusquement !
  • Lors d’un entretien avec Le Figaro, Alain Finkielkraut déclare regretter la disparition du mot compersion. Il affirme doctement que ce terme désignait la joie procurée par le bonheur d’autrui. Mais la linguiste Laélia Véron raconte une tout autre histoire. En réalité, ce mot a été créé par une communauté hippie californienne, dans les années 70. Il n’est donc ni français ni ancien. Il désigne effectivement le plaisir ressenti face au plaisir de l’autre… dans un contexte de polyamour et d’échangisme sexuel ! Eh ben alors Finkie ? Un aveu à faire ?

Le ridicule ne tue pas, dit l’adage. Si tel était le cas, on en aurait déjà fini avec l’Académie.

Les critiques envers l’Académie française ont donc une légitimité certaine. La vénérée institution est élitiste, incompétente, misogyne, raciste, homophobe et ridicule. De nombreuses voix s’élèvent pour réclamer la dissolution de cette institution controversée. On peut effectivement en faire un combat. Sans aller jusque là, on peut commencer par retirer aux immortels l’admiration et le crédit qu’ils ne méritent pas. Pour en apprendre plus sur la langue, tournons-nous plutôt vers les véritables spécialistes : Laélia Véron et Romain Monté Filstroff, par exemple, sont des vulgarisateur·ices formidables.

Quoi qu’il en soit, gardons en tête que la qualité de nos interactions sociales ne dépend pas de la maîtrise parfaite d’un français académique. Elle relève bien davantage de notre personnalité, de nos idées, ou encore de notre culture.

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Laurence Morison, pour e-Writers

Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.

Article relu par Nicolas, tuteur de formation chez FRW.

Ressources utiles :

– LES LINGUISTES ATTÉRÉ·E·S (collectif), Le français va très bien, merci (Gallimard Tracts, 2023, 64 pages). Un démenti scientifique au mythe du déclin de la langue française.

– La chaîne YouTube Linguisticae, de Romain Montée FILSTROFF. Une chaîne de vulgarisation linguistique où vous pourrez par exemple en savoir plus sur la réforme de l’orthographe.

Sources :

– Site de l’Académie française, en particulier les pages statuts et règlements, dire, ne pas dire, orthographe : histoire d’une longue querelle, déclaration sur l’écriture inclusive, consulté le 10 juin 2023.

– CANDEA Maria, Le langage est politique, entretien pour la revue Ballast, 8 septembre 2017, consulté le 10 juin 2023.

– CANDEA Maria et VÉRON Laélia, Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique, Paris, La Découverte, 2019, 129 pages.

Dictionnaire de l’Académie française, consulté le 10 juin 2023.

Journal Officiel du 29 mai 2022, point 19, Legifrance, consulté le 10 juin 2023.

– MONTÉ FILSTROFF Romain, La vérité sur l’Académie, YouTube, chaîne Linguisticae, Juillet 2019, consulté le 10 Juin 2023.

– VÉRON Laélia, La chronique langue, Radio France, France Inter, consulté le 10 Juin 2023 : L’Académie française, novembre 2021, Les perles de l’Académie, 10 mai 2023, Comment surmonter un chagrin d’amour linguistique, 7 Juin 2023.

– VIENNOT Éliane, dir., L’Académie contre la langue française. Le dossier « féminisation »,‪ Donnemarie-Dontilly, Édition iXe, coll. Xx-y-z, 2016, 224 pages.

– VINÇOTTE Aliénor et GRELIER Dorian, Sur le bout de la langue, entretien avec Alain Finkielkraut « La langue française s’affaisse et la nation aussi », Le Figaro, 16 décembre 2022, consulté le 10 Juin 2023.