Qu’adviendra-t-il de notre corps après la mort ? Quel mode de sépulture devrions-nous choisir pour nos obsèques ? Cette question très personnelle, relevant de l’intime, nous a tous effleurés au moins une fois. Pour l’heure, la loi française n’autorise que deux procédés : l’inhumation et la crémation. Depuis quelques années, une autre méthode est régulièrement évoquée : l’humusation ou terramation. Certes, ses partisans la qualifient d’alternative écologique aux enterrements traditionnels. Mais qu’en est-il vraiment, et en quoi consiste-t-elle ? Quels sont les enjeux de ce nouveau procédé ?

L’humusation, c’est quoi au juste ?

L’humusation est une technique funéraire née de l’observation de l’écosystème des forêts. Elle s’inspire du vivant pour inventer un monde plus vertueux et respectueux de l’équilibre écologique.

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », proclamait Lavoisier. En effet, dans l’ordre de la nature, tout organisme se métamorphose sous l’effet de sa microflore afin d’être finalement converti en compost. Fidèle à ce principe, la terramation n’est ni plus ni moins que la reproduction contrôlée de ce cycle biologique.

Concrètement, l’opération peut être décomposée en quatre phases.

  1. Le corps du défunt, enveloppé d’un simple linceul biodégradable, sera étendu sur un lit de copeaux de bois et autres végétaux finement broyés, mélangés à des accélérateurs de décomposition naturels. Dans le respect des traditions et des cultes, proches et amis pourront lui rendre un dernier hommage lors d’une cérémonie funéraire.
  2. Des agents qualifiés, les humuseurs, recouvriront la dépouille du même mélange, coiffé de feuilles mortes et de paille. Ils formeront un monticule auquel ils donneront l’aspect d’une tombe sur laquelle il sera possible de se recueillir pendant douze mois.
  3. Après un délai de 3 à 4 mois, au-delà duquel les tissus mous seront décomposés, les os et les dents seront réduits en poudre. Celle-ci sera réintroduite dans la butte tandis que les corps étrangers tels que les prothèses ou les pacemakers en seront extraits.
  4. Douze mois après l’enfouissement initial, la transformation en humus sera achevée. Il en résultera une quinzaine de mètres cubes d’un terreau propice à fertiliser une centaine d’arbustes.

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Le compostage humain, l’espoir de funérailles vertes

Notre société a évolué. Désormais conscients des enjeux écologiques, nous cherchons à valoriser nos déchets. Nous étudions des solutions naturelles pour les recycler et réduire leur impact environnemental. Ce comportement qui nous semble responsable de notre vivant, pourquoi ne l’adopterions-nous pas à l’heure des adieux ?

Or, la mise au tombeau et l’incinération sont deux techniques d’enterrement extrêmement polluantes et énergivores. Les chiffres en attestent. Si l’on s’en réfère à un dossier de presse de la fondation des services funéraires de la ville de Paris, daté du 12 octobre 2017 :

  • une inhumation équivaut à 11 % des émissions de dioxyde de carbone d’un Français moyen sur une année, soit 4 023 kilomètres parcourus en voiture individuelle ;
  • une crémation, à 3 % des rejets de gaz à effet de serre, soit 1 124 kilomètres.

En 2022, la fédération nationale du funéraire a dénombré 658 434 décès. 60 % d’entre ont fait l’objet d’une mise en terre. Sur la base de ces chiffres, la pollution engendrée correspondrait un trajet de 1 885 359 916 kilomètres, soit plus de 47 000 fois le tour de la planète !

Faire don de son corps à la terre s’inscrit dès lors comme une démarche bienveillante envers la biodiversité. En effet, par son processus, elle exclut :

  • l’utilisation de tout combustible ;
  • la fabrication et le transport des cercueils ;
  • la construction de caveaux et l’importation de pierres tombales, stèles ou autres ornements ;
  • les soins de thanatopraxie.

À l’inverse, le compost obtenu permettrait de régénérer des terres épuisées, voire de lutter contre la déforestation.

La terramation et les enjeux financiers

L’industrie mortuaire est florissante. D’après la fédération nationale du funéraire, le chiffre d’affaires réalisé en 2015 s’élevait à 2,7 milliards d’euros. Elle génère 25 000 emplois directs auxquels il convient d’ajouter ceux des fournisseurs et sous-traitants.

Il est difficile d’estimer le coût réel de l’humusation tant que l’état n’aura pas statué sur les modalités de son adoption. Cependant, le prix devrait être inférieur ou équivalent à celui d’un enterrement « classique ». En effet, cercueils, urnes, monuments et autres ornements sont proscrits du cahier des charges, tout comme les soins conservateurs. Seules les compositions florales fraîches et sans support sont autorisées. Qui plus est, les frais relatifs à l’acquisition de concessions en cimetières ou columbarium deviennent obsolètes.

Or, les entreprises de pompes funèbres réalisent leur plus grande marge de bénéfices grâce à la vente des accessoires et « produits dérivés ». L’impact économique sera donc un facteur non négligeable dans les réflexions des pouvoirs publics.

Toutefois, l’offre de services devrait logiquement s’étoffer. En effet, le processus exige l’intervention régulière d’agents qualifiés pour optimiser le rendement des buttes et entretenir le « jardin naturel ».

Il n’en demeure pas moins que si la légalisation de la terramation devenait réalité, les acteurs du secteur funéraire seraient contraints de diversifier leurs prestations et de s’adapter à ce nouveau marché.

La conversion du corps… et des esprits

La conversion du corps humain en humus ne sera pas acceptée tant que notre perception morale du respect post-mortem n’aura pas évolué.

Dans l’esprit collectif, le compostage est associé au traitement des détritus. Par conséquent, que la dépouille d’un proche subisse le même sort que celui réservé aux résidus risque de choquer les sensibilités et d’engendrer des débats houleux !

Par ailleurs, il faudra étudier la conformité de la terramation avec l’article 16-1-1 du Code civil stipulant que les restes des personnes décédées doivent être considérés dignement. De plus, il sera probablement nécessaire de réviser l’article 2213-15 du Code général des collectivités territoriales rendant obligatoire la présence d’un cercueil.

Détracteurs et partisans s’opposent déjà au travers de plusieurs argumentaires.

Quand les premiers soulignent que des centaines d’hectares vont devoir être convertis en fermes industrielles mortuaires, les seconds mettent en exergue la saturation des établissements funéraires. Ce faisant, ils nous obligent à assumer les choix sociétaux qui définiront l’avenir de notre monde. Car, si les villes de demain doivent répondre à des critères de durabilité, comment pouvons-nous envisager d’agrandir ou de construire des complexes exigeant toujours plus de béton ?

Face à l’argumentaire d’un risque sanitaire accru, les défenseurs de l’humusation objectent, précisant que la putréfaction des chairs en terre empoisonne les sols et les cours d’eau de manière irréversible. Par ailleurs, ils certifient que la proximité des cimetières avec les zones d’habitation compromet dangereusement notre cadre de vie.

Sur un plan culturel, voire spirituel, les défenseurs du processus écologique n’hésitent pas à citer un extrait de la Genèse, verset 3.19 : « Car tu es poussière, et tu retourneras à la poussière ». Ils opposent à l’image du déchet, celle d’un arbre majestueux, symbole de la renaissance et de l’harmonie de la nature.

 

Ratifiée aux États-Unis par six États, mais sous une forme quelque peu différente, l’humusation n’est encore qu’au stade des balbutiements, même si elle tend à s’immiscer de plus en plus fréquemment dans les débats. Lors d’une séance de questions-réponses au Sénat, madame Marie Guévenoux, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, a affirmé que le sujet n’était pas enterré. Elle a d’ailleurs confirmé qu’un groupe de travail serait constitué avant la fin du premier semestre 2024. Ses conclusions valideront-elles la fiabilité du procédé ? Au mois de janvier 2024, la Belgique a définitivement abandonné le projet de la terramation, une étude menée ne s’étant pas avérée probante.

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José CHASSET, pour e-Writers

Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW

Article relu par Nicolas, tuteur de formation chez FRW

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