En 1968, 2001, l’odyssée de l’espace, sort sur grand écran. Révolutionnant le cinéma de science-fiction, Stanley Kubrick souhaite avant tout offrir une expérience cinématographique contemplative : « J’ai voulu que le film soit une expérience intensément subjective qui atteigne le spectateur à un niveau profond de conscience, juste comme la musique. » Ses effets spéciaux, spectaculaires pour l’époque, laisseront une empreinte indélébile, influençant grandement des films comme Alien, Star Wars, ou encore Interstellar. En revanche, il est vrai que le scénario quelque peu nébuleux a pu déconcerter bon nombre de spectateurs, notamment la fin, laissant souvent un sentiment d’incompréhension lors du premier visionnage. Si vous aussi, ce monument du cinéma vous a interloqué, découvrons ensemble de quoi il en retourne.

L’histoire : une épopée spatiale guidée par des entités supérieures

Acte 1 : L’aube de l’humanité

Les premiers hommes, n’étant encore qu’au stade d’australopithèques, doivent faire face à une nature hostile. Les paysages qui nous sont montrés sont arides. Les rares points d’eau accessibles sont disputés entre différentes tribus. Sans défense, les hominidés subissent les attaques des carnivores. Réfugiés à flanc de colline, la nuit, certains restent éveillés. À ce moment de l’histoire, les futurs humains ne sont que des animaux apeurés vivant dans une angoisse permanente.

Cependant, un matin, tout change. Un mystérieux objet noir apparaît : le monolithe. C’est la première grande interrogation du film. Quel est cet objet ? D’où vient-il ? Envoyé par des extraterrestres, d’une civilisation plus avancée, leur but est de faire progresser l’humanité afin de nous traiter d’égal à égal. En sa présence, les cris des singes s’estompent, pour laisser place à un silence religieux. Ce premier contact a pour effet de faire évoluer les hommes. Ils gagnent en intelligence.

L’homme invente alors l’outil. S’en servant comme arme, sa première utilisation suivra le chemin de la violence. Ils n’ont plus besoin de se cacher ou de fuir. De proies, ils deviennent des prédateurs. Jetant l’os dans le ciel, à sa retombée, il devient un satellite. La plus grande ellipse temporelle du cinéma vient de se produire. L’humanité vient de faire un bond de quatre millions d’années.

Acte 2 : L’an 2000

Dans cette partie du film, nous sommes à l’antithèse du premier acte. L’insécurité des premiers hominidés est une histoire bien ancienne. Le docteur Haywood Floyd dort paisiblement dans une navette dérivant au milieu du vide sidéral. Accompagnées par Le Beau Danube Bleu de Johann Strauss, de longues séquences font étalage d’une technologie maintenant maîtrisée.

Parallèlement, là où les primates préhistoriques se battaient pour une mare, russes et américains se cachent des informations autour d’une table. Malgré toutes les prouesses technologiques que les hommes ont accomplies, ils conservent certaines de leurs caractéristiques animales, en filmant des passages liés à leurs besoins primaires comme manger ou dormir. Néanmoins, la découverte du second monolithe, situé sur la Lune, rapprochera encore l’humanité des êtres qui les guident.

Acte 3 : Le voyage vers Jupiter

Dans ce troisième acte, le vaisseau spatial, Discovery One, voyage à destination de Jupiter. Ici, l’accent est mis sur l’intelligence artificielle HAL 9000. Suite à une défaillance dans son programme, le robot considère à présent les membres de l’équipage comme une nuisance pour mener à bien sa mission, et décide de les éliminer. Dave Bowman, seul rescapé, finira par débrancher HAL.

Outre le fait que ce passage du film sert à distiller de l’action tout en mettant en garde sur les dangers des intelligences artificielles, la mort de HAL interroge le spectateur. Lors de sa déconnexion, sa peur de mourir est-elle feinte ou authentique ? Ressent-il réellement des émotions ? A-t-il développé une conscience ? Ces questions ne peuvent rester qu’en suspens, car le doute est délibérément maintenu.

Acte 4 : Au-delà de l’infini

Le dénouement est généralement considéré comme l’acte le plus compliqué à comprendre. Le film change complètement de ton. Au contact du troisième monolithe, Dave Bowman se retrouve catapulté dans un trip psychédélique, l’amenant directement aux entités. L’obscurité de l’espace laisse place à une chambre blanche. Pourquoi se retrouve-t-il dans cette pièce, vieillit-il en quelques instants, pour finalement être remplacé par un bébé ?

Le cosmonaute est en réalité happé par un champ de force l’entrainant dans un autre pan de la galaxie. L’appartement, dans lequel il se retrouve, a été confectionné par les entités. Réalisé à l’aide de ses souvenirs et de ses rêves, c’est une sorte de zoo humain. Les extraterrestres peuvent alors l’étudier. Sa vie semble défiler en quelques minutes, mais cela n’est peut-être qu’une impression de la part de l’astronaute. Face au dernier monolithe, Kubrick explique : « Il meurt et renaît sous une forme supérieure. Il revient sur Terre comme ange ou comme surhomme, ou du moins transfiguré. »

Portrait abstrait de l'espace

Crédits : Joel Filipe via Unsplash

Le message : la philosophie et la vision de Kubrick à travers 2001, l’odyssée de l’espace

L’inspiration nietzschéenne

Friedrich Nietzche

Friedrich Nietzche. Crédits : Wikilmages via Pixabay

Confirmée par Kubrick lui-même, la piste extraterrestre est unanimement admise pour expliquer la trame scénaristique. Par contre, le sens donné à cette histoire demeure ambigu. Nombreuses sont les théories cherchant à expliquer la signification de 2001, l’odyssée de l’espace. Parmi toutes les théories développées, c’est l’approche nietzschéenne qui est la plus retenue.

Le film s’ouvre et se referme sur Ainsi parlait Zarathoustra, composé par Richard Strauss. Cette dernière, étant elle-même inspirée par le livre du même nom, écrit par Friedrich Nietzche. Cette œuvre philosophique développe notamment le concept du surhomme, de la volonté de puissance et de l’éternel retour.

Pour résumer succinctement la pensée nietzschéenne, il faut comprendre que son auteur part du principe que : « Dieu est mort », ou plutôt constate une crise des valeurs héritées du christianisme. Il faut donc les remplacer par de nouvelles. Pour les créer, « l’homme est quelque chose qui doit être surmonté ». Cette pensée philosophique est censée remplacer Dieu. L’homme étant « une corde tendue entre la bête et le surhomme. ».

Dans 2001, l’odyssée de l’espace, cela se manifeste par l’évolution du singe à l’homme. Le fœtus apparaissant dans la scène finale représenterait métaphoriquement la forme ultime de l’humanité. Les mots de Kubrick le désignant comme « ange » confirmeraient cette théorie. Ce fœtus serait aussi une référence à l’éternel retour. Dans cette conception philosophique, le temps serait cyclique et non linéaire, collant à la résurrection de Dave Bowman dans son apparence juvénile.

Bien que l’approche nietzschéenne trouve indubitablement des échos dans l’œuvre de Kubrick, il faut tout de même nuancer son influence. Le cinéaste n’a jamais clairement affirmé cette inspiration. De plus, même si nous partions du principe qu’il s’est approprié la philosophie nietzschéenne, elle resterait sujette à sa propre interprétation. Là où Nietzche possède une vision joyeuse via l’amor fati (aimer son destin), toute la filmographie du réalisateur transpire de pessimisme.

Le pessimisme de Kubrick

Stanley Kubrick

Stanley Kubrick. Crédits : Domaine public

Lorsque l’on analyse l’œuvre du réalisateur dans son entièreté, il en résulte une constante. Il porte un regard froid sur l’humanité. Ses thèmes, allant de la violence d’Orange mécanique, l’aliénation de Full Metal Jacket, l’infidélité d’Eyes Wide Shut, ou encore l’autodestruction dans Docteur Folamour, révèlent toujours la part sombre de l’humain. Il serait étonnant que 2001, l’odyssée de l’espace échappe à cette règle.

Le début du film est révélateur. Lorsque l’homme invente l’outil, son premier acte est de commettre le premier meurtre. Cette barbarie sert de fondement à la civilisation. Les pulsions animales de l’homme seront éternellement inscrites en lui. Elles seront mises en avant durant toute la durée du film par le besoin perpétuel de nourriture et de repos.

La résurrection de Dave Bowman pourrait alors être perçue comme une condamnation de l’espèce humaine à revivre éternellement le cycle de la violence… Ou bien porteur d’espoir, lui laissant une seconde chance, car il ne faut pas être radical sur les intentions de Kubrick vis-à-vis de son film. Tout cela reste théorique, et ne peut être considéré comme une vérité universelle. Pour lui laisser le mot de la fin :

« Vous êtes libres de spéculer à votre gré sur la signification philosophique et allégorique du film, mais je ne veux pas établir une carte routière verbale pour 2001 que tout spectateur se sentirait obligé de suivre sous peine de passer à côté de l’essentiel. »

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Rémi Pouget, pour e-writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Daphné Lemercier, tuteur de formation chez FRW.

Sources :

2001-3001, les odyssées de l’espace. Arthur C. Clarke. Éditions Omnibus. Préface de Jacques Goimard.

https://www.cairn.info/revue-le-philosophoire-2002-3-page-69.htm#:~:text=Selon%20Nietzsche%2C%20le%20surhomme%20est,de%20personnalit%C3%A9s%20multiples%20et%20contradictoires.

https://www.leblogducinema.com/critique/critique-film/dossier-2001-lodyssee-de-lespace-14245/