À l’heure de l’urgence climatique et au détour de pénuries de papier-toilette, nos petits gestes quotidiens et notre hygiène intime sont réévalués. On cherche des alternatives. Le retour du bidet dans nos salles de bains est évoqué. Équipement en voie d’extinction, on le rencontre encore au hasard d’une location de vacances ou d’un logement avant rénovation. On y rince le maillot de bain en pensant vaguement aux usages possibles. Cet équipement sanitaire provoque parfois même une pointe de gêne indéfinissable. Il fait sourire. Il intrigue. Définitivement ringard ? À nouveau tendance ? Pour nous former une opinion éclairée, saisissons le sujet à bras le corps et plongeons ensemble dans la fabuleuse histoire du bidet, une invention française… peut-être délaissée à tort.

Naissance et péripéties du bidet en France : gloire, honte, norme et disgrâce

Une invention française : les origines

Les origines sont confuses. La première mention écrite du bidet figure sur une carte de Rémy Pèverie, ébéniste à Paris, imprimée en 1739 pour présenter ses créations. Aucune trace antérieure. Il devient rapidement un classique.

Fabriqué par des artisans talentueux, il est accompagné de seringues utiles aux ablutions ou injections à visée thérapeutique ou contraceptive. Il fait partie d’un assortiment sympathique de meubles transportables remplissant les diverses fonctions corporelles. Il côtoie la chaise d’affaires, ancêtre de notre cuvette WC. Les salles de bains n’existent pas encore.

Par quel processus ce meuble fut-il affublé de ce nom ? Cela reste un mystère. On évoque une proximité avec le mot « bider » de l’ancien français signifiant « trotter ». Tel qu’il est conçu, il s’enfourche comme un petit cheval : vous voyez ?

XVIIIe siècle : L’âge d’or, objet fétiche

Les artisans parisiens débordent de raffinement dans la fabrication sur commande de pièces uniques :

  • composées d’un châssis sur pieds, généralement en noyer ;
  • peintes, dorées ou laquées ;
  • incrustées, rehaussées de fines sculptures, de marqueteries ou d’armoiries ;
  • munies d’un réceptacle en porcelaine, en faïence, parfois en argent ou en or ;
  • garnies de toiles, de soies, de velours, de cuirs ou de clous.

Depuis deux siècles, on pratique la propreté sèche reposant sur le changement régulier de linge. « On ne se baigne que pour cause de maladie ». L’usage du bidet relève du soin, non de l’hygiène. Pourtant, il faut attendre la fin du XVIIIe pour en voir la mention dans quelques ouvrages de médecine. On tourne autour du bidet comme autour du pot.

En revanche, la littérature érotique s’en régale. Restons évasifs. La proximité des gestes de toilette intime avec ceux menant à la volupté préoccupe les médecins et les garants de la morale. L’ustensile se voit associé aux femmes dites de mauvaise vie et au sexe. Du fait de ses liens avec les thérapeutiques vénériennes, il passe pour l’accessoire professionnel des prostituées. C’en est trop pour une réputation : l’ambiguïté du bidet s’installe.

jeune femme a califourchon sur un bidet du 18e siecle occupee a sa toilette intime

La Toilette intime ou la Rose effeuillée, tableau de Louis-Léopold Boilly, 18e siècle.

XIXe siècle : La chaste toilette à califourchon

Fini le bidet d’art. En cuivre nickelé ou en tôle émaillée, il s’industrialise et se vend dans les grands magasins. Pourtant, on n’ose prononcer son nom. La pudeur extrême et l’obsession pour l’hygiène caractérisent l’époque. Cela oblige à des circonvolutions pour évoquer la chose sans la mentionner. Le bidet est puritain. On appréciera ici la définition donnée dans le Bécherelle (1845) : « Meuble de garde-robe qu’on enfourche quand on veut d’en servir ».

Les ouvrages consacrés à l’hygiène du mariage sont plus bavards. La toilette intime est prescrite aux bonnes épouses, les maladies vénériennes étant attribuées alors à la malpropreté féminine. À la fin du siècle, assorti d’instruments d’irrigation — seringues, canules, poires —, le bidet devient un objet de première nécessité. Il s’affirme aussi comme instrument de pratiques anticonceptionnelles peu avouables. Encore une ambiguïté fonctionnelle qui jette le trouble.

L’usage de l’eau fait lentement son retour. Les espaces dédiés aux soins corporels se privatisent. Discret, le cabinet de toilette permet une prouesse : moraliser les soins du corps. Les pratiques pudiques des bourgeoises n’ont désormais rien en commun avec celles des femmes légères. Plus de confusion possible. Pourtant, dans l’imaginaire, le bidet, devenu honnête, évoque toujours les égarements voluptueux. Cela lui colle à l’émail.

XXe siècle : Au sommet de sa gloire puis ringardisé

Le raccordement aux réseaux sanitaires urbains marque l’avènement de la salle de bains d’aujourd’hui. Le bidet transportable cède la place à la version piédestal. Fini le kitsch du siècle précédent : l’heure est aux formes lisses. Dans les années 1920, les architectes français font le choix de séparer les fonctions corporelles en deux espaces. Le bidet se sépare de la cuvette des WC. Fin d’un binôme fonctionnel.

À l’exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, l’architecte Le Corbusier présente une salle de bains équipée d’un bidet. La même année, le salon dédié à la médecine et à l’hygiène sanitaire n’en expose aucun, alors que la syphilis décime. Dans beaucoup de familles ou dans les internats, on résiste à l’ustensile et à la toilette pelvienne. La pudibonderie et l’ignorance crasse règnent. Les jeunes filles éduquées dans les foyers religieux se lavent, oui, mais en chemise de bain. Le risque de manuélisation obsède l’Église.

1936, coup d’accélérateur. Les microbes découverts par Pasteur font peur. Les médecins préconisent le lavage quotidien des organes génitaux. Après la Seconde Guerre mondiale, l’éducation à l’hygiène se généralise. Les logements sociaux neufs s’équipent de salles de bains. Dans les années cinquante, le bidet conquiert sa place. Puis, deux décennies plus tard, sa vente décline, annonçant sa quasi-extinction en France.

→ Vous souhaitez en savoir plus à propos de la « manuélisation » aujourd’hui ? Faites donc un petit détour par ici.

vaste salle de bains du debut du 20e siecle equipee d'un bidet

Le retour du bidet dans nos salles de bains : état des lieux, exemple et voies d’avenir

Les salles de bains françaises ou la disparition regrettable du bidet

« Signe d’époque, chaque salle de bains possédait […] son bidet, objet d’hygiène intime devenu exotique à force d’être ringardisé, alors que son existence est attestée dès 1739, par le dictionnaire Trésor de la langue française. Sa disparition progressive, que l’on peut regretter, témoignerait à la fois d’un recul de l’hygiène intime, de la généralisation des douches et d’avancées décisives dans la qualité du papier-toilette. Mais il y aurait trop à en dire pour approfondir cette question ». Hervé Le Tellier dans Toutes les familles heureuses.

Hervé, prenons tout de même le temps d’approfondir.

Le bidet trône dans les salles de bains des années cinquante soixante. Puis il décline en France. Pourquoi cette dégringolade ?

  • La contraception orale progresse, les fonctions anticonceptionnelles vaginales tombent en désuétude.
  • Les Français s’équipent de lave-linge et le sacrifient par manque de place.
  • Le corps se libère de ses pudeurs démodées. Fin des toilettes fragmentées associées à l’usage de l’ustensile.
  • La douche remporte les suffrages. Les gestes de propreté intime ont évolué : la toilette quotidienne s’affirme totale et dynamique.

De son côté, l’écrivain Hervé Le Tellier évoque l’impact du papier-toilette et un recul de l’hygiène intime.

Devenu ringard en France, il perdure pourtant dans d’autres pays. Jetons un coup d’œil chez nos voisins transalpins, exemple emblématique en faveur de son usage inconditionnel.

Zoom sur les salles de bains italiennes : vivre sans bidet ? Ma non e possibile

L’ustensile vit en effet des jours heureux dans d’autres pays qui y sont restés fidèles : en Argentine ou au Portugal par exemple. En Italie, il trône dans les salles de bains à côté de son inséparable binôme, la cuvette des WC. Les enfants, filles et garçons, sont initiés à la toilette génitale dès 3-4 ans. L’usage du bidet au quotidien est passé dans les mœurs. Le bidet ringard ? Certainement pas.

Selon F. Beaupré et R-H. Guerrand, « Nécessité sociale depuis les années soixante, l’emploi permanent du bidet est devenu en Italie un fait de civilisation aussi important que l’avaient été les thermes de la Rome antique. […] Aux yeux des Italiens […], les autres Européens sont perçus comme négligés, pour ne pas dire sales ».

Aurions-nous eu tort d’abandonner un ustensile qui fait toujours ses preuves ? Signe d’un recul regrettable en matière d’hygiène ? Pour les Italiens, à coup sûr.

Bilan écologique du papier-toilette : le bidet réhabilité ?

Un lien d’usage nous amène à évoquer notre papier-toilette tout doux. En période de pénurie, les rayons vides provoquent un frisson d’effroi. Les ressources en eau utilisées pour sa fabrication affolent. De même, la quantité d’arbres abattus quotidiennement à cet effet. Sans parler de la chimie nécessaire pour le blanchir et de la pollution générée impactant notre santé.

Bref : n’en jetons plus. Les conditions sont réunies pour brainstormer activement sur la recherche d’alternatives. Et si le bon vieux bidet de tata Geneviève ou de la maison de vacances était la solution ? Un argument : chaque utilisation consommerait 0,6 litre d’eau contre 168 litres pour la fabrication d’un rouleau de PQ.

Les chiffres attestent d’un regain d’intérêt pour ce meuble d’eau. Inédit : des pays qui le jugeaient exotique l’adoptent. Les États-Unis par exemple. Alternative provisoire en attente d’inventions convaincantes ? À coup sûr, l’occasion de reconsidérer cette création française avec l’intérêt qu’il mérite pour repenser ses usages aujourd’hui.

 

Le retour du bidet dans nos salles de bains reste hypothétique. Quoiqu’il arrive, l’ustensile méritait bien quelques minutes de lecture. C’est bon pour la culture générale comme dirait tata Geneviève qui, à coup sûr, parcourt régulièrement les articles publiés sur eWriters. Et si vous décidez d’en adopter un, vous savez maintenant de quoi il retourne.

→ À découvrir aussi les WC écologiques qui réduisent la consommation de PQ.

Sources :