Vous cherchez des idées de récits d’anticipation en dehors des grands classiques comme 1984 de George Orwell et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury ? Voici une sélection de romans dystopiques pour adultes variés et originaux, qui jouent sur différents aspects de ces univers sombres. Car ce genre littéraire au succès grandissant, véritable phénomène culturel, sait se renouveler et surprendre. Plongez sans plus attendre dans ces œuvres qui, naviguant entre imaginaire et réalisme, interrogent notre société et notre futur.
1/ La Parabole du semeur d’Octavia E. Butler : un ouvrage visionnaire et précurseur injustement méconnu
Ce titre dispose de tous les ingrédients pour figurer en bonne place parmi les dystopies célèbres. L’histoire paraît s’inspirer de notre présent… mais elle est parue en 1993 !
Dans son journal intime, Lauren décrit son environnement qui se délite progressivement, sans apocalypse brutale. Son récit forme un tableau très noir de la société américaine et du capitalisme sans éthique. Si les adultes espèrent encore voir l’existence redevenir « comme avant », Lauren comprend que les changements sont irréversibles et qu’elle doit agir et s’adapter.
L’originalité du roman tient à sa dimension spirituelle : l’héroïne veut créer une forme de tiers-lieu basé sur des valeurs et des croyances communes. Nous suivons son cheminement philosophique, à la recherche de fondations nouvelles pour le monde d’après, misant sur des préceptes de fraternité, d’harmonie, d’apprentissage.
Cette œuvre demeure incroyablement pertinente dans sa vision des enjeux de notre civilisation et mérite vraiment d’être redécouverte. Si vous avez ensuite envie de continuer à suivre le périple de Lauren, vous pourrez dévorer le second tome, La Parabole des talents.
2/ L’île de Sigríður Hagalín Björnsdóttir : un récit contemporain d’effondrement, réaliste et glaçant
Ce livre dystopique récent risque fort de vous passer l’envie de séjourner sur une île.
Toutes les communications de l’Islande avec le reste du monde sont brutalement coupées. Or, le pays est largement dépendant des importations et doit donc revoir très rapidement son organisation pour survivre.
Nous sommes immergés dans ce nouveau quotidien, grâce à une écriture fluide et des chapitres courts, entrecoupés d’articles de presse. La tension monte de façon insidieuse, presque à notre insu. Mais l’horreur finit par nous éclater au visage et le déroulement inexorable des événements génère un immense malaise.
Sous couvert de protection du peuple, les pires actes sont banalisés. Les puissants administrent la vie des gens sur la base de rapports et de statistiques, comme s’il s’agissait d’une entreprise à redresser. Le cynisme de ces dirigeants derrière leurs bureaux fait froid dans le dos.
« On s’habitue à tout. Fais toujours attention à quel endroit tu poses tes valises. »
L’île, Sigríður Hagalín Björnsdóttir
Le texte constitue quasiment une étude de cas, fictive mais documentée, des mécanismes d’installation du fascisme. Le personnage principal se laisse prendre par l’engrenage et représente un exemple parfait : un peu naïf, un peu égoïste, un peu lâche. Une personne ordinaire, en somme. Et l’humanité se fissure petit à petit dans l’indifférence générale, ou presque.
L’île de Sigríður Hagalín Björnsdóttir, aux éditions Gaïa. Crédit photo : Jennifer Spittael
3/ Le Cercle de Dave Eggers : quand l’ère de l’hypernumérique vire au cauchemar
Attention, à la lecture de ce roman, vous vous demanderez peut-être si nous ne vivons pas déjà dans une dystopie… Le Cercle, entreprise technologique géante, a réuni en un compte unique toutes les applications existantes. La firme poursuit un idéal de transparence totale et expose les faits et gestes de chacun.
Nous assistons à l’endoctrinement rapide d’une jeune recrue, Mae, happée par la propagande sectaire de son employeur. Elle rejette ses proches, se montre parfois crédule et prête à tout pour grimper les échelons. Mae est loin d’être exemplaire, mais comment aurions-nous agi à sa place ?
Ultra-compétition, surveillance permanente, communication obligatoire, réputation, addiction… L’auteur n’a pas besoin de beaucoup extrapoler pour rendre son récit inquiétant. Dénonciation évidente du pouvoir des multinationales de l’informatique et de l’omniprésence des réseaux sociaux, le Cercle réussit à nous hypnotiser, car on y retrouve forcément un peu (ou beaucoup) de nous.
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4/ Sœurs dans la guerre de Sarah Hall : résister au désespoir avec une contre-utopie féministe
Présenté comme un descendant de La servante écarlate de Margaret Atwood, ce livre nous offre une héroïne tout aussi inoubliable.
Dans un futur proche, l’Angleterre est écrasée par une crise environnementale, économique et sociale. Un régime autoritaire prive la population de toute liberté individuelle.
La narratrice, Sœur, prend le risque de fuir vers une petite société matriarcale autosuffisante, qui survit au sein d’une région isolée et sauvage. Le groupe se prépare aussi au combat et ses membres doivent se montrer sans pitié.
La révolte constitue une renaissance pour Sœur, malgré les dangers. Elle prend conscience de ses ressources, de sa résilience et de la possibilité d’attaquer au lieu d’être gouvernée par la peur. Son parcours est une ode à la résistance, portée par une femme ordinaire.
Toutefois, l’ouvrage n’idéalise pas cette vie autarcique qui connaît son lot de dissensions entre les habitantes. L’utopie dévoile des failles et des doutes, mais ce qui compte ici, c’est la recherche de solutions alternatives, même imparfaites.
Un roman âpre et tranchant, sombre mais plein d’espoir. Ses dernières pages sont de celles qui bousculent et restent longtemps dans la tête.
Sœurs dans la guerre de Sarah Hall, aux éditions Rivages. Crédit photo : Jennifer Spittael
5/ L’incivilité des fantômes de Rivers Solomon : le livre de space opera qui renouvelle le genre du roman dystopique pour adulte
Ce récit de science-fiction nous emmène dans un gigantesque vaisseau spatial, où l’humanité s’est réfugiée après que la Terre soit devenue inhabitable. Les habitants noirs sont relégués sur les ponts inférieurs et réduits en esclavage.
La puissance de l’œuvre vient de ses protagonistes atypiques. Nous suivons Aster, une personne queer présentant des troubles autistiques, vraisemblablement Asperger. Immergés dans ses pensées, nous percevons les choses à sa façon, ce qui confère à l’histoire une voix différente, intime et éclairante.
Son amie Giselle bouillonne de haine, rongée par la violence subie. Elle ne s’excuse pas d’être en colère et préfère se consumer plutôt que nier sa souffrance. C’est un portrait de femme d’une rare intensité, sans compromis, profondément bouleversant.
La vision de l’avenir de l’humanité présentée est très pessimiste : si les progrès techniques permettent de parcourir l’espace, ils n’ont pas supprimé le racisme et l’exploitation des plus faibles.
Le bonheur semble impossible au niveau collectif, mais des touches de douceur naissent des relations bienveillantes que certains parviennent à développer malgré tout. Sortir de la norme et rencontrer de la tolérance et du respect, voilà le genre de futur que chacun peut créer autour de lui.
6/ Symphonie atomique d’Étienne Cunge : une course contre la montre addictive sur fond de crise environnementale et de fin du monde
Une dystopie écologique, un thriller apocalyptique, une odyssée atomique. Préparez-vous à tourner avidement les pages de ce titre décoiffant.
Les pires conséquences du réchauffement climatique deviennent réalité. L’humanité est en péril, l’éco-anxiété atteint son paroxysme et les plus fortunés construisent des bunkers de luxe. L’auteur, biologiste de formation, décrit avec précision les phénomènes dévastateurs qui s’abattent sur la planète. Mais il ne s’arrête pas là et imagine une escalade de la menace nucléaire entre les quatre puissances mondiales.
Les modes de vie et les objectifs des personnages s’opposent, mais tous sont pris dans le même engrenage mortel. En plus de ces différents points de vue, chaque chapitre débute par un extrait de l’émission « L’effondrement près de chez vous », diffusée sur les ondes de la station « Radio Collapse ». Celle-ci nous informe sur les conséquences de la crise aux quatre coins du globe. Ces passages hallucinants sont des bijoux de noirceur, à l’acuité percutante.
« Soyez écoresponsable, suicidez-vous. »
Symphonie atomique, Étienne Cunge
Découvrez les secrets de ce jeu d’échecs, où chacun avance ses pions dans l’ombre. Un ouvrage brillant, captivant et… absolument terrifiant ! Sans aucun doute l’une des meilleures dystopies parues récemment.
Symphonie atomique d’Étienne Cunge, aux éditions Critic. Crédit photo : Jennifer Spittael
7/ Les Livres de la terre fracturée de N. K. Jemisin : un univers post-apocalyptique et surnaturel porté par ce chef-d’œuvre inclassable
Cette trilogie incontournable se balade avec brio entre science-fiction et fantasy. Fait unique à ce jour, chaque tome a reçu le prestigieux prix Hugo du meilleur roman !
Sur une Terre abîmée, les survivants ont formé des clans pour résister à des périodes de cataclysmes répétés. Certaines personnes, les orogènes, sont capables de stopper ou de provoquer des séismes. Au vu de leur dangerosité, la population les persécute. Trois femmes orogènes voient ainsi leur vie bouleversée.
Dans une ambiance survivaliste, vous découvrirez des pouvoirs magiques fascinants, une école aux règles cruelles, des mangeurs de pierre, une relation mère-fille conflictuelle et une histoire d’amour marquante. La violence reste omniprésente et certaines scènes de torture peuvent choquer.
L’autrice déploie un style d’écriture abrupt, très accrocheur. Le point de vue de l’une des orogènes est narré à la deuxième personne du singulier, embarquant irrésistiblement le lecteur dans ses mésaventures.
Chaque livre est exceptionnel et le tout forme un ensemble ambitieux et unique. Une claque littéraire qui résonne longtemps après avoir refermé le dernier tome.
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Jennifer Spittael, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Anne, tutrice de formation chez FRW.
Sources :
https://bwr.ua.edu/2019-contest-interview-with-fiction-judge-rivers-solomon/ : interview de Rivers Solomon mentionnant l’autisme du personnage d’Aster.
https://www.thehugoawards.org/hugo-history/ : prix Hugo du meilleur roman remporté par N.K. Jemisin en 2016, 2017 et 2018 pour chaque tome de la trilogie Les livres de la terre fracturée.
La Parabole du semeur d’Octavia E. Butler, éditions Au diable vauvert
Le Cercle de Dave Eggers, éditions Gallimard
L’île de Sigríður Hagalín Björnsdóttir, éditions Gaïa
Sœurs dans la guerre de Sarah Hall, éditions Rivages
Symphonie atomique d’Étienne Cunge, éditions Critic/Pocket
L’incivilité des fantômes de Rivers Solomon, éditions Aux forges de Vulcains/J’ai lu
Les livres de la terre fracturée de N. K. Jemisin, éditions J’ai lu
