Les procès d’animaux au Moyen Âge peuvent paraître extravagants de nos jours, tant les mentalités ont évolué. En effet, du XIIIe siècle au XVIe siècle, les animaux domestiques, insectes nuisibles, rongeurs et autres bestioles sont jugés devant des tribunaux lors de véritables procès. De fait, durant l’époque féodale, l’Église octroie une conscience morale à l’animal considéré responsable de ses actes. On emprisonne et incrimine les bêtes pour délits et non-respect des règles établies par les hommes. Ces croyances médiévales subsistent pendant des siècles, voici leur histoire.

Les animaux criminels et les hommes à l’époque médiévale

Au Moyen Âge, les procès d’animaux sont répartis en deux types distincts : ceux prononcés par un tribunal laïc pour les animaux domestiques et ceux par un tribunal ecclésiastique pour les autres.

Durant cette période, la promiscuité entre l’homme et l’animal domestique crée un climat propice aux accidents. Animaux de la ferme, chiens et chats vagabondent à la recherche de nourriture dans les villes et dans les campagnes. En semi-liberté, ils constituent un danger pour les populations les plus fragiles. De fait, des drames se produisent, occasionnés par des cochons dans 9 cas sur 10. Considérés comme doués de bon sens et susceptibles de discerner le bien du mal, ces « tueurs » sont arrêtés, emprisonnés, alimentés et surveillés lors de leur incarcération. Ils attendent leur procès sous l’œil attentif de leur geôlier. On les conduit devant les tribunaux laïcs, convaincus qu’ils raisonnent, en prenant soin de leur désigner un avocat qui les représentera.

De curieux procès criminels s’ouvrent ainsi avec des accusés, incapables de se défendre, et donc condamnés d’avance. La sentence est souvent sans appel et on décide de châtiments corporels, de condamnations à mort et dans de rares cas, de peines plus légères. Le droit moyenâgeux ne met pas en cause leur propriétaire.

D’autres procès ont lieu à l’époque médiévale, prononcés par les autorités ecclésiastiques contre des animaux de petite taille tels que les insectes et divers rongeurs ou batraciens qui provoquent nuisances, famine et dévastation. On excommunie alors ces bestioles considérées comme de véritables fléaux. Minuscules et insaisissables, elles sont absentes du banc des accusés, on les condamne donc par contumace.

Le procès de la truie de Falaise au XIVe siècle et son jugement

En 1386, en Normandie, s’ouvre le procès retentissant de la truie de Falaise qui restera dans les annales de la justice médiévale. À cette époque, les cochons qui fouillent les détritus à la recherche de leur pitance circulent librement.

Un jour, une truie vorace piétine un enfant en bas âge et lui dévore une partie du visage et du bras. Le petit meurt de ses blessures. On conduit alors la truie en prison en l’attente de son jugement. On dresse un procès-verbal très bien documenté, le plus complet jamais établi pour une procédure relative à un animal. Ce procès dure 9 jours, puis la sentence tombe. La bête est condamnée à être traînée, attachée à un treillage, dans les faubourgs de la ville puis pendue et brûlée. Au préalable, on l’affuble de vêtements de femme. La projection anthropomorphique sur l’animal n’a jamais été aussi forte.

On prie les paysans des alentours à venir assister à l’exécution accompagnés de leurs cochons. On considère que ces animaux sont capables de comprendre cet homicide et ses conséquences. C’est donc à titre d’exemple qu’ils doivent regarder la mise à mort du porcin, pour ne pas devenir à leur tour des criminels en commettant de tels actes. De cet événement marquant, il ne reste presque plus de trace. Une peinture qui relate les faits est réalisée pour l’église de la Trinité de Falaise en réponse à la demande de la justice seigneuriale. Elle disparaît au XIXe siècle.

Les condamnations d’insectes et autres bêtes par l’Église

« Le devoir le plus élevé de l’homme est de soustraire les animaux à la cruauté. »
Émile Zola

Au Moyen Âge, tous les animaux ont une âme, même les plus petits. On qualifie de fléau ceux qui sont responsables de désolation et de famine. Ainsi, on juge des nuées d’insectes (dont les coléoptères et les sauterelles) et des rongeurs qui détruisent les récoltes et affament les hommes. Ces procès sont les plus nombreux en Europe et ailleurs.

En 1451, l’évêque de Lausanne évoque les dégâts engendrés par les sangsues sur les poissons. Il suggère qu’on en attrape quelques-unes afin qu’elles préviennent les autres et quittent les lieux. La citation à comparaître reste sans réponse. Les indésirables sont condamnées par contumace. Exorcismes et excommunications sont aussi régulièrement prononcés contre les nuisibles.

Mais les animaux ne sont pas uniquement jugés pour des destructions ou des meurtres. Les superstitions humaines, nombreuses, influencent également leur destin. Les loups, chats, coqs, chevaux et même dauphins en font les frais. On accuse certains félins de sorcellerie et des soupçons de lycanthropie se portent sur les loups. Dans les provinces, on croit aux loups-garous qui rôdent à l’affût de crimes sanglants et on décide de fréquentes sentences de mort à l’encontre des loups. À Bâle, en 1474, on condamne un coq inculpé pour sorcellerie.

D’autres histoires encore plus surprenantes voient le jour durant l’ère médiévale. Celle des dauphins de Marseille en témoigne. En 1596, ces mammifères marins occupent en masse le port de Marseille. L’évêque de Cavaillon leur ordonne de quitter les lieux, en vain, et les exorcise.

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La fin des procès d’animaux au Moyen Âge en Europe et ailleurs

Les procès d’animaux au Moyen Âge prennent majoritairement fin au XVIIe siècle en Europe avec l’émergence du cartésianisme et la théorie de l’animal-machine. Il en ressort que seul l’humain peut penser et raisonner. L’Église se tourne par conséquent vers l’humanité. On relègue les animaux au rang d’objets mortels. On met la personne sur un piédestal. Sa place est au côté de Dieu et des anges et lui garantit ainsi la vie éternelle. On divise la création en deux parties, celle des êtres conscients de leurs actes et celle des êtres sans moralité, ce qui rend les processus d’excommunication ou les exorcismes dénués de sens pour les bêtes.

On réserve par conséquent les procédures humaines aux seuls hommes. On dépossède également les animaux de leurs droits et de leur esprit. Jusque-là admis dans les églises comme n’importe quel fidèle, on les chasse des lieux sacrés. Finalement, toute représentation de figures saintes avec un animal disparaît des endroits où l’on prie. Canidés, bovins, chevaux retournent à leur condition et sont interdits de culte.

Après cette période, on comptera encore quelques procès d’animaux. En 1741, à Paris, on condamne une vache et en 1845, un chien. En 1916, dans le Tennessee, on pend un éléphant pour avoir piétiné son dresseur. En 2008, on réprouve un ours voleur de miel en Macédoine. On ne juge plus les animaux aujourd’hui, mais on les retrouve encore devant les tribunaux. En 2014, à Tours, un toutou comparaît pour que la justice observe sa réaction face au meurtrier de son maître.

Tous ces faits font partie de la petite histoire, mais ont aussi écrit la grande. À l’heure actuelle, le débat sur le sentiment animal est plus que jamais d’actualité. De nombreuses études font ressortir que les bêtes peuvent ressentir des émotions et qu’on peut leur attribuer une conscience de soi et des autres. L’intelligence animale est au cœur de multiples recherches. L’homme ne cesse de se passionner pour la vie qui l’entoure, animé par la même question philosophique depuis toujours : sommes-nous les seuls êtres pensants ?

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Delphine Hidalgo, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Agathe, tutrice de formation chez FRW.

Sources :
Truie condamnée à mort, dauphins exorcisés… les étranges procès d’animaux au Moyen Âge (radiofrance.fr)
Conférence : au Moyen Âge, des animaux traduits en justice (moyenagepassion.com)
Les procès d’animaux au Moyen Âge – Archives départementales de l’Aisne