Se remémorer le passé avec joie est un exercice que tout le monde ne maîtrise pas. La nostalgie, ce sentiment que nous percevons tous différemment, possède pourtant des pouvoirs insoupçonnés. En psychologie, elle est étudiée pour ses bienfaits sur la santé mentale. Est-il possible de maîtriser une émotion aussi ambivalente ? Grâce à l’introspection, retrouvez les souvenirs sur lesquels vous avez construit votre identité. En comprenant ses différents aspects, découvrez comment lutter contre l’anxiété et la solitude au quotidien.
1. Se reconnecter à son être intérieur grâce au pouvoir de la nostalgie
Nous sommes à la fin de l’été, durant les premiers jours de septembre. Un soir où l’air frais succède à une journée caniculaire, vous sortez avec un groupe d’amis. La ville dégage une odeur particulière, celle du goudron qui restitue la chaleur qu’il a emmagasinée. La nuit tombe de nouveau un peu plus tôt, et vous avez la sensation de pouvoir respirer après une journée éreintante, enfermée au bureau.
Au restaurant, vous êtes placé aux côtés de cette amie avec qui vous deviez prendre un café en tête à tête depuis des mois. Vous en profitez pour rattraper le temps perdu et entamer une conversation animée : tant de choses ont changé dans vos vies ces dernières semaines.
Soudain, une musique bourdonne à vos oreilles, c’est ce hit sur lequel tout le monde dansait durant votre deuxième année de fac. Vos amis échangent avec vous un regard complice et un sourire qui signifient « si tu crois que j’ai oublié cette fameuse soirée, tu te trompes ». Vous vous sentez pleinement présent, et l’euphorie de ce moment vous imprégnera durant quelques jours avant d’être classé dans un dossier de votre mémoire à long terme.
Les semaines passent, et un soir de novembre vous vous trouvez dans une impasse mentale. Votre travail est devenu rébarbatif, vos frères se disputent l’organisation de la veillée de Noël, et vous n’avez pas de projets pour le week-end. Même un énième visionnage de votre série préférée ne vous emballe pas tant que ça.
En faisant défiler toutes les applications de votre téléphone, vous vous apercevez que vous n’avez pas repris des nouvelles de cette amie avec qui vous avez passé une si bonne soirée en septembre. C’est alors que votre mémoire s’active, et que vous ressentez l’urgence de retourner dans ce souvenir. À cette époque pas si lointaine vous vous sentiez accompli, qu’est-ce qui a bien pu changer depuis ?
Aux confins de la joie à l’état pur et de la mélancolie, se trouve la nostalgie. Elle vous offre la possibilité de vous reconnecter à la personne que vous voudriez être à l’instant présent, mais qui est parasitée par les tracas du quotidien. Elle combat la solitude lorsqu’il est impossible d’être en présence de vos proches, tout comme elle accroît votre estime personnelle grâce à vos expériences positives.
2. Avoir le mal du pays, une maladie jusqu’au XXe siècle
La nostalgie prend racine dans le mal-être profond éprouvé par les soldats devant quitter leur terre natale. Thème repris par de nombreux courants artistiques à travers le monde, cette émotion fait désormais partie du langage courant.
Les origines de la nostalgie
Jusque dans les années 1930, le terme de nostalgie était strictement médical. Formé à partir des mots grecs « retour » et « souffrance » par le médecin suisse Johannes Hofer en 1688, il décrivait ce que l’on nomme aujourd’hui le mal du pays. On le trouve notamment dans les ouvrages de médecine militaire, puisque les soldats, arrachés à leur contrée, en souffraient très souvent.
Le nostalgique est alors dépeint comme un mourant, agonisant d’être séparé de sa terre natale. Si la seule intervention médicale possible était bien de ramener le malade au pays, il pouvait toutefois s’avérer compliqué de rapatrier un soldat de l’Egypte vers la France lors des guerres napoléoniennes.
Un enjeu politique durant des temps incertains
Le XIXe siècle est bouleversé par l’exil. Le mal du pays est très présent dans les témoignages des exilés. Les soldats sont dans le déni et refusent d’être soignés. Victor Hugo évoque sa nostalgie d’un Paris populaire, mais dont l’éloignement géographique n’est pas le problème : on ne peut rien contre le temps qui passe.
C’est durant cette période que la nostalgie devient un enjeu politique. Les médecins militaires mesurent le degré d’attachement à la patrie des armées grâce au nombre de nostalgiques. Cette recherche médicale passe également par l’autopsie des cadavres engendrés par la nostalgie. On en recherche son siège, qui est de nouveau défini par un souci politique. L’amour de la patrie étant trop noble pour demeurer dans l’abdomen, c’est dans la tête que l’on retrouve l’origine du mal du pays.
L’entrée dans la littérature
« La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste. » Victor Hugo
À l’instar de l’histoire de la mélancolie, le vocabulaire médical entre peu à peu dans la littérature. Baudelaire évoque son Spleen de Paris en 1869, même si en 1834 Balzac emploie déjà le terme de « nostalgie » dans La recherche de l’absolu. On le retrouve également en portugais avec le saudade ou dans le blues américain.
En France, la nostalgie cesse d’être une maladie dès le début du XXe siècle, et le terme est banalisé. Proust en fait un des thèmes principaux de son œuvre À la recherche du temps perdu. On parle alors aussi de bourdon dans les tranchées de la première guerre mondiale, ou bien même de cafard. Les souffrances changent de nom, mais restent les mêmes.
3. Contrer l’anxiété en se replongeant dans des souvenirs heureux
Beaucoup d’entre nous envisageons le futur avec crainte. Cependant, en cherchant dans notre passé, nous pouvons trouver des éléments afin de nous rassurer.
Un mécanisme psychologique puissant
Les stratégies d’adaptation ou le coping, sont les mécanismes que nous mettons en œuvre afin de résoudre les situations problématiques auxquelles nous sommes confrontées. C’est aussi ce que l’on appelle faire preuve de résilience.
En 2018, une étude dirigée par Sandra Garrido a démontré que chez certains individus, la nostalgie opérait en tant que processus d’adaptation avec des résultats positifs, au même titre qu’une thérapie ou une religion. En effet, se replonger dans des souvenirs heureux ancre les émotions positives du passé, dans le présent. Si ces souvenirs sont liés à une meilleure estime de soi ou au tissage de liens sociaux, ils peuvent renforcer le sentiment d’appartenance à une communauté.
Cependant, il faut distinguer la nostalgie comme mécanisme psychologique sain et ses effets sur les personnes ayant des difficultés à réguler leurs émotions. Selon le type de personnalité, certains individus enclins à la nostalgie seront confortés dans une fixation du passé, les poussant vers la dépression. Chez les personnes généralement heureuses, la nostalgie apporte un sens de continuité dans leur évolution. Chez les personnes sujettes à l’anxiété, elle peut affaiblir les aspects positifs du présent.
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La musique comme anti-dépresseur
Les bienfaits de la musique ne sont plus à prouver. Toutefois, de récentes études en psychologie sur la nostalgie induite par la musique apportent de nouvelles pistes d’exploration. Cette dernière présente des avantages dans les domaines sociaux, ceux de l’auto-réflexion et de notre existence par rapport au monde. Ces bénéfices interagissent, par exemple, une meilleure estime de soi entraînera une meilleure humeur et une sensation d’optimisme générale.
Les personnes atteintes de démence ont du mal à faire appel à leur mémoire autobiographique. Cependant, les zones du cerveau associées à la mémoire de la musique étant moins touchées par la maladie, certains souvenirs peuvent ressurgir. L’écoute de mélodie nostalgique chez ces patients leur permet de retrouver leur identité et d’assurer leur bien-être.
4. Acheter quand on est nostalgique : la conséquence du rétro-marketing
Un temps considérés comme les outils des jeunes générations, les réseaux sociaux abritent aujourd’hui des communautés de tous âges. Peu importe où nous sommes, nous pouvons échanger avec des internautes aux goûts et intérêts semblables aux nôtres. Sur le Web, nombreux sont ceux qui communiquent à propos de leur jeunesse et de leurs collections d’objets rétro.
Les marques s’approprient ces cibles et remettent au goût du jour des produits qui rappellent des époques où tout paraissait plus simple. En jouant avec les affects, des entreprises reprenant les codes du passé donnent une sensation de sécurité et de familiarité au consommateur. C’est l’assurance d’un produit de qualité « comme on n’en fait plus ».
Ces enseignes jouent également sur le sentiment d’appartenance de leur clientèle cible. En effet, durant notre jeunesse, des communautés se sont formées autour d’objets emblématiques au sein de nos générations. Le Solex est le moteur de millions d’adolescents entre les années 1950 à 1980. Les premières consoles Nintendo ont hypnotisé les enfants des années 1990, et les cartes Pokémon ceux des années 2000. En continuant d’acheter les produits de ces marques ou des rééditions, nous continuons à faire partie du club des cool kids.
Certains artistes comme le cinéaste Wes Anderson, se réapproprient les codes du vintage pour fabriquer un passé idéalisé. Nous trouvons alors refuge auprès d’œuvres de fiction qui nous rappellent un « bon vieux temps » que nous n’avons pas tous connu.
Les retours à la mode peuvent aussi créer un lien intergénérationnel et justifier l’achat d’un produit auprès des consommateurs. De plus, le pouvoir d’achat des seniors étant nettement supérieur à celui des jeunes, cela représente un marché à prendre pour les marques vintage. Le tout étant de ne pas trop en faire pour pouvoir conserver l’émotion comme motivation première d’achat.
La nostalgie est une émotion complexe et intime, dont l’expérience est véritablement propre à chacun. En touchant à notre histoire et à notre identité, elle nous rend plus vulnérable. Afin d’en bénéficier comme expérience positive, il est impératif de se connaître soi-même. C’est ainsi qu’un retour dans le passé motivé par la curiosité peut devenir une source quotidienne de bonheur et une grande réserve d’estime de soi. En revanche, une difficulté à vivre dans le présent se traduira en mal-être et en rumination.
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Violette Besson, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Clémence, tutrice de formation chez FRW.
Sources :
Marie-Claude LAMBOTTE, « NOSTALGIE », Encyclopædia Universalis [en ligne]
Thibault LIEURADE, La nostalgie des marques, une émotion au cœur des réseaux sociaux