Sous le Second Empire, l’éducation des enfants est bien souvent empreinte de sévérité et de violence. À cette même époque, une femme écrivain est venue remettre en question ces vieux principes. Les livres de la comtesse de Ségur, éducation positive en filigrane, continuent de remplir les bibliothèques des petits lecteurs du XXIe siècle, et de leurs parents adeptes de bienveillance et de non violence. Plongeons dans ces classiques de la littérature jeunesse, où la représentation des enfants et de leur éducation est loin d’être démodée !

Sophie Rostopchine : d’une enfance russe « à la dure » à une grand-mère aimante

Une fillette turbulente élevée avec sévérité

La comtesse de Ségur, de son nom de naissance Sofia Fiodorovna Rostopchnina, a vu le jour dans une noble famille russe, le 1er août 1799 à Saint-Pétersbourg. Son père est un général du Tzar qui aurait commandité en 1812 l’incendie de Moscou pour lutter contre l’armée napoléonienne. S’ensuit un exil de la famille, qui s’établit en France après avoir voyagé un peu partout en Europe.

À l’époque en Russie, le moins que l’on puisse dire est que l’on ne se soucie guère de psychologie en ce qui concerne l’éducation des enfants. En France non plus d’ailleurs, malgré Jean-Jacques Rousseau et son Émile, ou De l’éducation (1762), qui a reconnu pour la première fois l’importance de la psychologie dans la formation des jeunes esprits : « Le petit d’homme n’est pas simplement un petit homme ».

Ainsi, la petite Sophie, jugée turbulente et désobéissante, est maltraitée par sa mère. Cette dernière n’hésite pas à la frapper, la priver de nourriture et de vêtements chauds, ou l’humilier en public. À côté de cela, Sophie reçoit une instruction poussée, réservée aux héritiers de l’aristocratie russe et faisant la part belle aux langues étrangères, notamment au français. Adulte, elle saura parler cinq langues.

Une comtesse entourée d’enfants

À 19 ans, elle se marie avec Eugène de Ségur, un homme volage qui abandonne souvent le domicile conjugal. Ensemble, ils auront huit enfants, sur lesquels la comtesse reporte toute son affection. Elle se consacre à leur éducation, préférant le calme de son château normand des Nouettes aux mondanités parisiennes.

Portrait de la Comtesse de Ségur en 1823

Portrait de la comtesse de Ségur à 24 ans

Recevant par la suite la visite régulière de ses nombreux petits-enfants qu’elle chérit, elle imagine pour eux des histoires et des contes. Elle en publie pour la première fois un recueil en 1856, à plus de cinquante-cinq ans. Ce sont les Nouveaux Contes de fées. Elle obtient rapidement que ses droits d’autrice lui soient directement versés, plutôt qu’à son mari désargenté.

Chaque nouveau livre publié est dédicacé à un ou plusieurs de ses petits-enfants. Les dédicaces mettent en avant leurs qualités, tout en les enjoignant à être reconnaissants et à donner le meilleur d’eux-mêmes chaque jour. Dans un petit cimetière du Morbihan, sur le chevet de sa tombe, il est écrit sur une croix en granit : « Dieu et mes enfants ».

Les enfants et leurs apprentissages au cœur d’une œuvre intemporelle : des Malheurs de Sophie à Quel amour d’enfant !

La condamnation des châtiments corporels

L’œuvre de la comtesse de Ségur est très souvent autobiographique et résiliente. L’autrice tire les enseignements de son éducation stricte et violente. Elle montre ainsi qu’une autre voie est possible pour obtenir des enfants un comportement sage, studieux et aimable.

Dans Les Malheurs de Sophie, l’héroïne est bien évidemment la comtesse elle-même, petite fille attachante malgré ses défauts. Sophie de Réan, par ses bêtises et ses étourderies, cherche à attirer l’attention de parents souvent absents ou trop stricts. Madame de Réan n’est pas réellement violente. Il lui arrive une seule fois de fouetter Sophie après que cette dernière eut commis un vol. Elle est par contre adepte de punitions sévères ou humiliantes. Au décès de sa mère, Sophie va tomber entre les griffes de sa marâtre Madame Fichini. Cette dernière va presque réussir à la rendre mauvaise, à force de mauvais traitements dont la lecture est parfois à la limite du soutenable. Au contact des Petites filles modèles Camille et Madeleine et de leur mère, la douce Madame de Fleurville, Sophie va devenir sage et bonne.

Gravure représentant Madame Fichini fouettant Sophie

Bertall — Les Petites Filles modèles, Librairie Hachette, collection « Bibliothèque rose illustrée », Paris, 1927 – 30e édition

Dans les romans de la comtesse de Ségur, tous les enfants battus persistent dans leurs défauts jusqu’à ce qu’ils trouvent quelqu’un d’affectueux mais ferme pour les mener sur le droit chemin :

  • Dans Un bon petit diable, Charles est fouetté par son horrible Tante MacMiche et n’a de cesse de lui jouer des tours. Il ne s’assagit que grâce à la gentille aveugle Juliette.
  • Torchonnet, l’enfant martyr de L’Auberge de l’Ange gardien, ira jusqu’à se faire administrer le knout par le Général Dourakine. Il deviendra « un assez bon sujet » après avoir fait un séjour chez les Frères de la Charité.

Le refus de l’«enfant-roi »

Les petits à qui on laisse tout faire ne sont pas mieux lotis que les enfants battus ! La comtesse de Ségur fustige les parents démissionnaires, qui rendent leurs gamins insupportables et dangereux pour leur entourage.

Giselle, dans Quel amour d’enfant !, est ce que l’on peut appeler une enfant « pourrie-gâtée ». Elle est capricieuse, vole, ment, et se fait détester de tous ses petits camarades. Par leur laxisme, ses parents sont incapables de l’éduquer correctement. Seuls un séjour au couvent et un premier mariage désastreux arriveront à la corriger et à la rendre aimable aux yeux de tous.

Bien qu’il s’agisse d’une œuvre destinée au jeune public, il n’y a pas toujours de « happy end » pour les enfants pervertis par leur éducation trop permissive. Le méchant Georges de Après la pluie, le beau temps, exilé au Mexique, meurt de la fièvre jaune, même s’il demande pardon à sa souffre-douleur Geneviève dans son délire.

La comtesse de Ségur : l’éducation positive toujours en vogue

Avant même de parler d’éducation positive, il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Les petits héros des romans séguriens évoluent dans un monde rigide, avec une place réservée à chacun en fonction de sa classe sociale. À la lecture de Diloy le Chemineau ou de Pauvre Blaise, on voit qu’il y a un gouffre entre l’éducation donnée aux petits issus de l’aristocratie et celle des rejetons de domestiques ou d’ouvriers. Même si on est encore loin de la pédagogie Montessori, certains principes et méthodes ébauchés dans les livres de la comtesse ont le vent en poupe aujourd’hui.

Pour en savoir plus sur la parentalité positive telle qu’on l’entend aujourd’hui, lisez cet autre article.

Une pédagogie basée sur la bienveillance et l’écoute

Les éducateurs des enfants aimables excluent évidemment de leurs méthodes d’éducation les châtiments corporels. Ils les amènent à réfléchir par eux-mêmes aux conséquences de leurs actes et à faire preuve d’empathie. Ils font respecter l’ordre et les règles à leur progéniture, sous couvert de religion (aristocratie du XIXe siècle oblige !), toujours avec tendresse, patience et compréhension.

Il existe des punitions, parfois sévères, mais toujours expliquées et acceptées de ceux qui les reçoivent. Elles n’ont pour but que d’amener au repentir et au désir de mieux faire, sans humilier.

Importance donnée à la nature et à l’autonomie

Dans l’univers de la comtesse de Ségur, les petits héros ne restent pas enfermés dans leurs châteaux. Ils sont au plus près de la nature et font beaucoup d’activités extérieures :

  • longues promenades à pied ou à dos d’âne ;
  • jeux de cache-cache dans la forêt ;
  • parties de pêche ;
  • construction de cabanes.
Gravure représentant des enfants qui jardinent

Horace Castelli pour Les Malheurs de Sophie

Les parents les laissent mener leurs jeux comme ils l’entendent, et leur donnent des responsabilités en toute autonomie :

  • Dans Les bons enfants, les cousins mettent en place un roulement où chaque enfant raconte à son tour une histoire aux autres.
  • Ils cuisinent eux-mêmes leur pique-nique dans Mémoires d’un âne.
  • Dans Jean qui grogne et Jean qui rit, les deux garçons de 14 ans partent seuls de leur Bretagne natale vers Paris pour y travailler.

La préférence d’une instruction à la maison

Aujourd’hui, l’instruction en famille fait de nombreux adeptes, notamment pour pouvoir appliquer des pédagogies alternatives. À plusieurs reprises dans les romans de la comtesse de Ségur, on dépeint l’école et surtout les pensionnats comme des lieux trop sévères, où les élèves sont brimés par les professeurs (Un bon petit diable), et subissent des violences infligées par leurs camarades (Les deux nigauds).

Gravure représentant un jeu cruel de collégiens

Horace Castelli – Illustration pour Les Deux Nigauds

Dans les châteaux de l’univers ségurien, les précepteurs sont la plupart du temps de bons pédagogues, qui ont à cœur la réussite de leurs élèves. C’est par exemple grâce à Paolo que Christine de François le bossu échappera à une vie d’ignorance et de frivolités que lui promettait la compagnie de ses parents.

Si vous cherchez des livres à lire avec vos enfants, ne craignez pas de leur faire découvrir cette chère comtesse ! Certes, la morale s’avère parfois un peu rigoureuse et ils pourront trouver le vocabulaire surprenant. Mais ils découvriront un univers merveilleux et des personnages auxquels ils pourront facilement s’identifier. De toute façon, lisez des histoires à vos enfants, c’est important !

Catherine Roche, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW
Article relu par Daphné, tutrice de formation chez FRW

Sources :

– Romans de la comtesse de Ségur

– Connaissances personnelles de l’autrice

– https://gallica.bnf.fr/blog/03082023/la-comtesse-de-segur-1799-1874?mode=desktop

– https://www.babelio.com/auteur/Comtesse-de-Segur/79795

https://fr.wikipedia.org/wiki/Comtesse_de_S%C3%A9gur

https://www.liberation.fr/culture/livres/la-comtesse-de-segur-une-plume-contre-le-martinet-20240418_LPZS7CWPARG4VDA43GZ52FRCQY/