Vaste programme que celui de décrire le profil de cet individu hors normes. À la manière d’un Léonard de Vinci sous le règne de François Ier, Vauban marquera le XVIIe siècle de son talent, et pas seulement militaire. Repéré à l’âge de dix-huit ans par le Prince de Condé, cousin du Roi Soleil, le futur Maréchal de France passera sa vie entière au service de l’État. Visionnaire et réformateur, il n’aura de cesse d’exposer à Louis XIV ses nombreuses théories sur la stratégie au combat, la fiscalité, l’économie ou encore l’agriculture. Alors pour savoir qui est Vauban, il va falloir se concentrer… très fort.
Tous les manuels d’histoire s’accordent à dire que le Marquis de Vauban a révolutionné l’art de la guerre
« Sérieusement, Monseigneur, le roi devrait un peu songer à faire son pré carré. »
Malgré les difficultés à l’époque pour se déplacer, l’ingénieur sillonne les routes sans relâche. Son constat est sans appel. Louvois, ministre de la Guerre, reçoit en 1673 une lettre de sa part. Lisez plutôt : « Sérieusement, Monseigneur, le roi devrait un peu songer à faire son pré carré. Cette confusion de places amies et ennemies ne me plaît point. […]
« C’est pourquoi, soit par traité ou par une bonne guerre, Monseigneur, prêchez toujours la quadrature, non pas du cercle, mais du pré. C’est une belle et bonne chose que de pouvoir tenir son fait des deux mains. »
Le fameux « pré carré » imaginé par l’architecte consiste en une double protection de villes fortifiées, avec des places de première et de seconde ligne.
Par cette célèbre missive, l’homme veut faire comprendre au roi qu’il peut gérer tout le territoire depuis Versailles et ainsi « tenir son fait des deux mains ». Convaincu, Louis XIV lui laisse le champ libre et le nomme en 1678 Commissaire des fortifications.
Dans son analyse, Vauban tient compte des frontières naturelles telles que les Alpes, les Pyrénées, le Rhin, ou encore l’océan atlantique. Il étudie en amont la géographie, mais aussi la géopolitique et va redéfinir le périmètre à protéger. C’est la fameuse « ceinture de fer ». Le nord et l’est de la France, régions menacées par la guerre de Hollande, seront les premières à en profiter.
Tous ces édifices ont comme objectif de dissuader l’ennemi. Et notez qu’en attaque comme en défense, le futur marquis s’avère redoutablement efficace.
« Ville assiégée par Vauban, ville prise. Ville défendue par Vauban, ville imprenable. »
Cinquante-trois. C’est le nombre de sièges menés au cours de sa carrière. Passé maître dans cet art, appelé aussi la poliorcétique, Vauban considère chacun d’entre eux comme un problème à résoudre. La ville de Maastricht en fera d’ailleurs les frais en 1673. Considérée comme l’une des plus puissantes places fortes d’Europe, elle tombera après seulement treize jours de siège. Un véritable camouflet pour les ennemis du roi de France !
Patient et méticuleux, notre stratège resserre son étau en traçant deux lignes bien distinctes. La première protège les assaillants d’une éventuelle attaque à l’arrière et la seconde empêche les assiégés de quitter la zone. Et au-delà de la première ligne, des batteries de canons sont installées pour pilonner les murailles de la ville.
Mais attention, l’homme excelle tout autant en défense. Il modifie souvent l’existant, et notamment les fortifications dites « à l’italienne » (élaborées à l’arrivée de l’artillerie sur les champs de bataille). Les murs rasants sont remblayés pour amortir les chocs, mais ces façades, assez basses, sont aussi plus faciles à attaquer.
Vauban imagine alors une stratégie de « défense active ». La fortification est entourée d’un profond fossé et les remparts ne sont plus arrondis, mais en forme d’étoile. Exit les angles morts. À chaque pointe se trouve un bastion qui peut venir en aide à son voisin. Mais si l’une des tourelles tombe, c’est toute la défense qui vacille avec elle.
L’architecte prévoit donc de protéger l’ensemble par un chemin couvert, duquel les fusiliers peuvent répondre efficacement aux attaques. Un glacis limite aussi les offensives en faisant ricocher les tirs.
Sébastien Le Prestre de Vauban n’est pas le premier à s’être enquis de la protection d’un territoire. Dans la taïga sibérienne, on a retrouvé des traces de fortifications vieilles de huit mille ans. Et le génie du petit Bourguignon en a inspiré d’autres. Si vous partez à la découverte du Canada, faites une pause à Québec, qui elle aussi a sa citadelle en forme d’étoile.
La simple étude de ses fortifications n’est pas suffisante pour comprendre qui est Vauban
Certes, l’héritage militaire qu’il nous a légué est colossal, mais résumer l’œuvre du personnage uniquement à cela serait un vil affront ! Économiste, réformateur, fiscaliste… Les adjectifs sont trop nombreux pour pouvoir tous les citer. Voici donc quelques exemples de ses multiples compétences.
Arithméticien chevronné, il écrit un traité intitulé « La cochonnerie », dans lequel il calcule la productivité d’une truie sur dix ans pour assurer la subsistance d’une famille. Féru de statistiques, il organise également la toute première campagne de recensement du pays. L’objectif est simple : fiabiliser les données et mieux calculer les besoins et les rendements. Si Excel avait existé à l’époque, il se serait régalé…
Ce touche-à-tout étudiera jusqu’à l’ingénierie hydraulique. En 1684 est décidée la construction du canal de l’Eure, prévu pour détourner le fleuve et alimenter les fontaines de Versailles. La machine de Marly, située sur le domaine du même nom, n’est pas assez puissante pour assurer le bon fonctionnement des réseaux d’eau du palais. L’ingénieur est comme souvent appelé à la rescousse et présente alors un grand projet : l’aqueduc de Maintenon… Uniquement pour le bon plaisir du roi !
Mais Vauban, bien que serviteur de l’État, n’oublie pas pour autant la population. Adepte du bien commun et de la justice sociale, il se prête à rêver d’une société égalitaire. Mais il est un peu trop en avance sur son temps…
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Les convictions de Sébastien Le Prestre de Vauban font de lui un précurseur des Lumières
À la ville comme sur le champ de bataille, la vie a une grande valeur
Les stratégies militaires élaborées par Vauban ont pour objectif d’asseoir la puissance de Louis XIV sur le continent, mais aussi de limiter les pertes humaines. Il l’assume face aux spectateurs du siège de Maastricht, qui trouvent les travaux interminables :
« Je veux économiser le sang par la sueur et la poudre ».
Voyageur infatigable, il constate les difficultés du petit peuple. Dans les années 1690, qualifiées d’« années de misère », les Français ont faim, meurent au front et se font ponctionner beaucoup d’argent. Le roi enchaîne les campagnes militaires à un rythme effréné, et elles coûtent cher. L’ingénieur commence à réfléchir à un impôt plus équitable.
La Dîme royale, ou la petite histoire qui a fait trembler la grande
Les petits arrangements de la haute noblesse et les tricheries diffusent un lourd parfum d’injustice dans tout le pays. Pour éviter un soulèvement et mettre fin aux privilèges, Vauban propose en 1696 que chacun contribue au renflouement des caisses du royaume à la hauteur de ses revenus. C’est le projet de « capitation ». En 1700, sa version améliorée, la « Dîme royale », sera présentée au roi. Ce dernier ne retiendra pas l’idée, car bien trop réformatrice à son goût. Mais en 1707, Vauban le frondeur fait publier l’ouvrage et le fait entrer clandestinement dans Paris. La rumeur court qu’un texte brûlant circule sous le manteau dans les rues de la ville…
Décédé quelques semaines plus tard, il n’aura pas l’occasion de mieux défendre son concept d’une taxation plus juste. Aujourd’hui pourtant, certaines de ses valeurs font partie de notre quotidien, notamment lors d’une signature pour l’achat d’un bien immobilier. Il a été décidé, et c’est une première, de réexaminer le mode de calcul de la fiscalité du logement afin de faciliter l’accès à la propriété.
Homme brillant et révolutionnaire dans l’âme, Vauban sera resté plus de cinquante ans au service de Louis XIV. Ce dernier, en apprenant la mort de son serviteur, dira de lui : « Je perds un homme fort affectionné à ma personne et à l’État ». Avec ses idées novatrices et son franc-parler, le petit bourgeois du Morvan aura réussi à changer les choses pour son souverain, mais aussi pour la population. Le Roi Soleil l’invitera souvent à Marly, sa résidence secondaire, signe d’une grande considération. La seule frustration de Sébastien Le Prestre de Vauban sera d’avoir été nommé Marquis tardivement, en 1703, soit quatre ans avant sa mort. Un hommage posthume lui sera rendu en 1808 sur ordre de Napoléon. Son corps repose depuis sous le dôme des Invalides à Paris. Preuve ultime que son génie lui aura survécu.
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Pauline Vauban, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW
Article relu par Anne, tutrice de formation chez FRW
Sources
https://sites-vauban.org/
https://lecercledeseconomistes.fr/vauban-une-oeuvre-fiscale-durable-et-forte/
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/vauban-un-surdoue-au-service-de-la-118297
https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2006-3-page-173.htm
https://www.musee-armee.fr/ExpoMousquetaires/le-siege-de-maastricht.html
https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/S%C3%A9bastien_Le_Prestre_seigneur_de_Vauban/148400