La Grèce antique nous offre une mythologie pleine de tragédies dans lesquelles ses héros plient sans fin sous le poids de leur propre destin. Toutefois, ces chants épiques font aussi la part belle aux femmes, mortelles ou déesses. Pas de saisons sans Déméter et Perséphone. Pas de poèmes sans les Muses. Et le Mal, sans la curiosité de Pandore, dormirait toujours au fond d’une boîte. Ambivalentes, reines du libre arbitre comme Antigone, ou faites pour le sacrifice comme Iphigénie, les femmes dans les mythes grecs sont néanmoins toujours fortes. Mais laissons de côté la fureur des harpies, le chant des sirènes ou le jugement des Érinyes, et penchons-nous plutôt sur les portraits de six femmes d’exception qui marquèrent à jamais les légendes et les contes.
Celles que l’on désire : la beauté, dur fléau pour les femmes dans les mythes grecs
« Hélène aux bras d’albâtre » (Iliade, Homère)
« Hector : Comment l’as-tu enlevée ? Consentement ou contrainte ?
Pâris : Voyons, Hector ! Tu connais les femmes aussi bien que moi. Elles ne consentent qu’à la contrainte. »
La guerre de Troie n’aura pas lieu, Giraudoux.
« Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? » Hélène, bien sûr ! Aphrodite elle-même le reconnaît volontiers. Épouse de Ménélas, reine de Sparte, fille de Zeus et de Léda, la beauté de celle qu’Homère décrit comme « la plus noble des femmes » a l’amer goût de la malédiction.
Enlevée dès son plus jeune âge par Thésée, puis de nouveau ravie par ses frères Castor et Pollux, le nom d’Hélène est célébré dans toute la Grèce antique. Nombreux sont les rois qui affluent pour l’épouser. Pâris n’hésite pas à la soustraire à son mari, quitte à provoquer une guerre. Priam et Hécube, souverains de Troie, l’accueillent à bras ouverts, alors même que les Grecs sont à leurs portes. Enfin, lorsque Ménélas retrouve son épouse après dix ans de combats, il lui pardonne, tout simplement.
Hélène, hélas trop familière du syndrome de Stockholm, a raison du cœur des hommes comme de celui des dieux. Mais comme l’écrit Laure de Chantal dans son ouvrage Libre comme une déesse grecque : « Le destin d’Hélène nous raconte que rien n’est si puissant que la beauté, ni si lourd à porter : un jour, Hélène s’est suicidée. »
Cassandre, oracle de malheur
« On ne peut vaincre sa destinée. »
Phèdre, Racine.
Cassandre, princesse de Troie, est prêtresse d’Apollon. Belle, elle l’est assurément. Vouée au culte du dieu de la lumière, promise à une vie de chasteté, elle a reçu d’Apollon le don de prophétie. Cependant, rien n’est gratuit… Le plus beau des dieux, la Troyenne le repousse. Vexé, mais ne pouvant reprendre ce qu’il lui a donné, il lui crache dans la bouche, lui ôtant ainsi tout pouvoir de persuasion.
Par ce geste, la divinité tutélaire de Troie condamne sa cité. Car n’en déplaise à Giraudoux, la guerre de Troie aura bien lieu. Pourtant, Cassandre prédit tout. À la naissance de son frère Pâris, elle voit le mal qu’il causera, et demande à ses parents de le tuer. Quand le jeune prince enlève Hélène, la lucide Cassandre supplie pour que l’on rende sa femme à Ménélas. Enfin, lorsqu’un cheval de bois immense se dresse comme en offrande aux portes de la cité, elle implore son père d’y mettre le feu, et de ne surtout pas l’y faire entrer.
La suite, à l’instar de l’infortunée princesse, nous la connaissons tous. Après avoir été violée par Ajax, elle est livrée au grec Agamemnon, puis assassinée à Mycènes en même temps que lui par sa femme Clytemnestre. Pourtant, elle l’avait prévenu. Bien sûr, il ne l’avait pas crue.
Celles que l’on délaisse : de l’épouse dévouée à l’amante outragée
Pénélope, fidèle et ingénieuse
« Ne sois point irrité contre moi, cher Ulysse, toi le plus prudent des hommes. »
Odyssée, Homère.
Mais irrité, pourquoi devrait-il l’être ? Car pendant vingt ans, Pénélope, épouse d’Ulysse, mère de leur fils Télémaque et reine d’Ithaque, attend le retour de son mari. Son royaume est sens dessus dessous. De toutes parts, des prétendants au trône laissé vacant par Ulysse accourent, dans l’espoir de l’épouser.
Pénélope, la résilience incarnée, n’est pas une guerrière. Sa force réside ailleurs. Aussi rusée que son mari, mais beaucoup plus fidèle, elle les fait patienter, des années durant, grâce à une promesse : lorsqu’elle aura fini de tisser le linceul de Laërte, son beau-père, elle choisira un nouvel époux. Mais chaque nuit, alors que son bien-aimé Ulysse trouve du réconfort dans les bras de la magicienne Circé ou de la nymphe Calypso, elle défait inlassablement ce qu’elle a tissé la journée.
Jusqu’au retour de son roi, après vingt ans d’absence. Mais de son absence, parlons-en : sur les dix années que dura son voyage relaté dans l’Odyssée, il en passa huit dans les bras de ses maîtresses.
Médée, la mère indigne
« Sachant ce que je puis, ayant vu ce que j’ose,
Croit-il que m’offenser, ce soit si peu de chose ? »
Médée, Corneille.
De toutes les femmes peuplant la mythologie grecque, Médée est sans doute l’une de celles ayant la plus mauvaise presse. Magicienne, fille du roi de Colchide, la longue liste de ses forfaits a de quoi faire frémir.
Tout d’abord, amoureuse de Jason, venu chercher la toison d’or en possession de son père, elle trahit ce dernier pour l’aider à l’obtenir. Ensuite, elle tue et démembre son frère, puis s’enfuit en compagnie de son amant et des Argonautes. Enfin, elle cause le meurtre du roi d’Iolcos pour permettre à Jason de monter sur le trône. Mais contraints de fuir à nouveau, les deux amants trouvent un dernier refuge à Corinthe. Fatale erreur ! Désirant s’unir à la fille du roi Créon, Jason délaisse Médée. La magicienne, qui a une façon bien à elle de gérer ses émotions, tue alors Créon et la princesse, avant d’assassiner ses propres enfants.
Médée, à jamais impunie pour ses crimes, représente l’absence totale de culpabilité. Rappelons qu’Héraclès lui-même, pourtant fils chéri de Zeus, a été contraint de s’acquitter de ses célèbres douze travaux pour expier les meurtres de sa femme et de ses enfants, provoqués par la déesse Héra.
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Celles que l’on punit : la métamorphose pour châtiment divin
Méduse, la belle et la bête
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
Andromaque, Racine.
Les femmes dans les mythes grecs paient cher le fait d’exister. Ce n’est pas Méduse qui dira le contraire ! Car elle n’a pas toujours été le monstre entré dans la légende, et dont la tête finira par orner le bouclier d’Athéna.
À l’origine, Méduse, magnifique, attire l’attention du dieu Poséidon. Repoussant ses avances, elle trouve refuge dans le temple d’Athéna, où le roi des mers la viole sous la statue de la déesse. Outragée, cette dernière châtie la victime : ses cheveux deviennent un nid de serpents, et son regard, mortel, changera désormais en pierre quiconque aura le malheur de le croiser. La Gorgone connue de tous est née.
Mais, bien des années plus tard, cela n’arrête pas le bras du héros Persée. Avec l’aide d’Athéna, il lui tranche la tête, puis se sert de son regard létal pour terrasser ses ennemis. Méduse, c’est l’histoire d’un châtiment à la fois terrible et injuste. Toutefois, en la changeant en monstre, Athéna lui offre aussi une planche de salut, une façon de punir tout homme qui oserait la contempler à nouveau. Méduse représente les plus bas des instincts, et c’est précisément cette vérité qui est insoutenable à regarder.
Arachné, tisseuse à tout jamais
« Tout change, rien ne meurt. »
Les Métamorphoses, Ovide.
L’orgueil est un bien vilain défaut, et le mythe d’Arachné est là pour nous le rappeler. Jeune femme réputée pour son art du tissage et de la broderie, tous louent la beauté exquise de ses œuvres. Y compris elle-même.
Un jour, elle ose affirmer à Athéna que son talent surpasse celui de la déesse. Bien entendu, cette dernière en prend ombrage, car l’orgueil n’est pas le propre des mortels. Un concours est organisé entre la femme et la divinité. Le travail d’Athéna est remarquable, mais elle se trouve obligée de l’admettre : celui d’Arachné, mettant en scène les amours adultères des dieux olympiens, est resplendissant. Aveuglée par la rage, la déesse, d’ordinaire si raisonnable, déchire le bel ouvrage d’un coup de fuseau. Humiliée, Arachné se pend dans le noir d’une grange.
Athéna offre alors une nouvelle vie à la jeune suicidée. Changée en araignée, pendue à jamais sur un métier qu’un souffle briserait, Arachné tisse sa toile, pour l’éternité.
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Dans de nombreux mythes grecs, les femmes provoquent des guerres, ôtent des vies, usent de magie ou d’esprit pour se hisser à l’égal des hommes. Elles ne se contentent pas d’influencer leur propre Destinée, cette notion primordiale dans la plupart des tragédies. La Destinée ? Les Moires, ces trois entités féminines que même les dieux craignent… Car en définitive, tout commence et finit par une femme. N’est-ce pas, Gaïa ?
Mauriane Alvarez, pour e-Writers.
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Nicolas, tuteur de formation chez FRW.
Sources :
DE CHANTAL, Laure. Libre comme une déesse grecque. Éditions Stock. 2022.
OVIDE. Les Métamorphoses. Éditions Folio. 1992.
DUSSUTOUR, Alice. LANOË, Anne. Femmes libres de la mythologie. Éditions Fleurus. 2020
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