Bienvenue dans l’univers fascinant du rat-taupe nu, un mammifère fouisseur presque glabre, à la peau rose et fripée, aux dents saillantes, capable de vivre plus de 30 ans… Son exceptionnelle longévité, sa résilience remarquable et son insensibilité à la douleur ébranlent nos connaissances en biologie. Ses superpouvoirs en font un sujet d’’étude privilégié pour la recherche sur le vieillissement, la fertilité et la résistance aux maladies, notamment au cancer. Découvrez dès maintenant certains secrets de ce petit rongeur eusocial en tous points singulier…

L’hétérocéphale : quand la nature défie l’imagination

Pour le rencontrer dans son habitat naturel, cap sur la corne de l’Afrique. L’aire de répartition d’Heterocephalus glaber se limite aux zones arides de l’Éthiopie, de la Somalie et du Kenya. Membre de la famille des Bathyergidés, cet herbivore, plus proche du cochon d’Inde et du porc-épic que du rat ou de la taupe, vit essentiellement sous terre.

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Sous la loupe : les poils cachés du rat-taupe nu

Ne vous fiez pas à son nom : le rat-taupe nu n’est pas tout à fait chauve ! Bien que sa peau semble glabre, son corps est en fait recouvert de poils fins et clairsemés, essentiels à son mode de vie souterrain. Plus abondants sur la face, la queue et les orteils, ils agissent comme des capteurs sensoriels et aident l’animal à naviguer dans l’obscurité de son terrier. Les vibrisses, particulièrement sensibles, détectent les vibrations et les obstacles, compensant sa vision limitée. Son épiderme translucide présente une élasticité remarquable, ce qui lui permet de se faufiler dans les galeries étroites sans se blesser. Il utilise ses incisives, longues et imposantes, pour creuser les tunnels sans même ouvrir la bouche.

Portrait d'un rat-taupe glabre

L’hétérocéphale creuse les galeries avec ses dents. Sa mâchoire concentre près d’un quart de sa musculature.  
Crédit photo : Mehgan Murphy, Smithsonian’s National Zoo, CC BY-NC-ND 2.0 via Flickr

 

Ni aveugle, ni sourd, ni consanguin : les légendes ont la vie dure !

Le rat-taupe nu n’est ni totalement aveugle ni complètement sourd. Ses yeux minuscules, adaptés à un environnement où la lumière est rare, sont rudimentaires mais fonctionnels. Des études montrent qu’il perçoit les changements de luminosité. Son ouïe spécialisée capte mieux les basses fréquences. Cette adaptation au mode de vie souterrain préserve son capital auditif tout en favorisant une communication efficace. Par ailleurs, plusieurs études révèlent que, dans leur milieu naturel, les colonies évitent la consanguinité grâce à la dispersion de certains mâles.

Les capacités thermorégulatrices du rat-taupe glabre : le mythe de l’animal à « sang froid »

Il est souvent qualifié, à tort, d’animal à « sang froid » (ou poïkilotherme). Contrairement aux reptiles et amphibiens dont la chaleur corporelle fluctue selon l’environnement, il est en réalité hétérotherme. Malgré sa petite taille et l’absence de graisse ou de fourrure, il parvient à maintenir une température constante, indépendamment des conditions extérieures. Grâce à un processus ingénieux, la « thermogenèse non frissonnante », il produit de la chaleur sans gaspiller d’énergie. Cette aptitude peu commune parmi les mammifères est essentielle à sa survie dans les tunnels où la température peut varier.

Comportement eusocial : plongée dans une société souterraine complexe

Au sein des colonies, qui peuvent compter jusqu’à 300 individus, règne une organisation sophistiquée basée sur une répartition des rôles extrêmement codifiée.

Vie sociale : une organisation quasi unique chez les mammifères

L’hétérocéphale et le rat-taupe de Damara (Cryptomys damarensis) sont les deux seules espèces de mammifères dits eusociaux. Comme les abeilles ou les termites, ils vivent en famille au sein d’une société matriarcale marquée par une hiérarchisation stricte du travail :

  • Une reine, seule femelle à se reproduire, domine la colonie. Après environ 70 jours de gestation, elle met bas entre 5 et 27 petits et peut avoir jusqu’à 5 portées par an.
  • 2 à 3 mâles sont autorisés à s’accoupler.
  • Les autres membres non reproducteurs, quel que soit leur sexe, remplissent différentes tâches en fonction de leur taille. Les plus imposants (les soldats) sont chargés de défendre la colonie. Les plus menus (les ouvriers) coopèrent pour creuser et entretenir les galeries, trouver de la nourriture et prendre soin des immatures.
Reconstitution en coupe d'un terrier de rat-taupe nu

Reconstitution en coupe d’un terrier de rats-taupes nus illustrant la répartition des activités au sein de cette espèce eusociale.
Crédit photo : Chiswick Chap, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons

 

Parlez-vous le rat-taupe nu ? À chaque colonie son dialecte

Pépiements, gazouillis, grognements, cris d’alarme… l’hétérocéphale est du genre bavard. Il utilise au moins 17 vocalisations distinctes. Chaque famille développe son propre dialecte. Cette communication évoluée renforce la cohésion et facilite la coordination des tâches. Les jeunes transférés dans des colonies étrangères adoptent le langage de leur nouveau groupe. Cependant, gare aux intrus ! Trahis par leur « accent » différent, ils sont impitoyablement chassés.

🪲 Le saviez-vous ? Les coléoptères sont les seuls colocataires tolérés par le rat-taupe glabre. En consommant ses déchets, les scarabées assurent la salubrité des tunnels et des toilettes !

De super-héros à supervilain : la face obscure d’Heterocephalus glaber

La vie en société chez le rat-taupe nu n’est pas toujours rose. Pour imposer sa domination et maintenir son autorité, la reine se montre agressive et bouscule sans vergogne ses subordonnés. Le stress engendré par ce comportement inhibe les capacités reproductrices des autres individus. Elle assure ainsi la pérennité de son règne.
Afin d’étendre leurs territoires, des colonies en envahissent d’autres. Des scientifiques ont même observé des pratiques comme l’esclavage et l’enlèvement de petits non sevrés.

Longévité et résilience : ces superpouvoirs que les humains lui envient

Renommé pour son espérance de vie exceptionnelle et sa résistance aux maladies, cet original défie les règles de la biologie.

Le Mathusalem des rongeurs : le rat qui ne voulait pas vieillir

Si l’hétérocéphale fascine tant les scientifiques, c’est parce qu’il nargue la loi de Gompertz, un modèle qui lie taille et longévité chez les mammifères. La bestiole peut vivre plus de 30 ans en captivité, contre 4 ans pour une souris. Un record au regard de sa corpulence !
Pourquoi le rat-taupe nu vit-il si longtemps ? Cette aptitude s’explique par sa résistance au stress oxydatif – un phénomène attaché à la sénescence –, sa capacité à réparer son ADN et à maintenir l’intégrité de ses tissus. Une étude menée sur plus de 3 200 individus suggère que le risque de mortalité n’augmente pas avec l’âge, mais cette conclusion reste débattue. Même s’ils vieillissent plus lentement, ils déclinent bel et bien. En témoignent certains signes, comme la perte d’élasticité de la peau et des lésions organiques. De quoi meurt le rat-taupe nu ? Dans son habitat naturel, il est victime de prédateurs, serpents et rapaces.

Les femelles demeurent fertiles toute leur vie. Contrairement à de nombreux mammifères (dont Homo sapiens), qui naissent avec une réserve limitée d’ovules, les rats-taupes chauves continuent de générer des gamètes tout au long de leur existence. La reine peut se reproduire tardivement, et à son décès, la production d’ovules s’active chez les prétendantes au trône.

Un rat-taupe nu dans une main

Malgré sa taille (il est à peine plus gros qu’une souris), le rat-taupe nu jouit d’une santé de fer et peut vivre plus de 30 ans !
Source : John Brighenti from Rockville, MD, United States, CC BY 2.0, via Wikimedia Commons

 

Petit, mais costaud : un modèle de résilience face à la douleur et aux maladies

Le rat-taupe nu est résistant à de nombreuses maladies neurodégénératives et cardiovasculaires, mais aussi au cancer, rarement observé chez cette espèce. Cette faculté serait liée à :

  • la présence, en grande quantité, d’acide hyaluronique, une molécule qui inhibe la division incontrôlée des cellules, responsable de la formation des tumeurs ;
  • la surexpression de certains gènes protecteurs ;
  • l’utilisation du glucose pour réduire le stress oxydant ;
  • des mécanismes de réparation de l’ADN.

Ses caractéristiques uniques en font un modèle d’étude prisé en oncologie.

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Les rats-taupes nus présentent également plusieurs particularités remarquables :

  • leur force musculaire reste intacte jusqu’à leurs 25 ans environ ;
  • l’élasticité de leurs vaisseaux sanguins ne se dégrade pas avec l’âge ;
  • leur densité osseuse demeure élevée presque jusqu’à leur mort ;
  • leur peau, très souple et bien hydratée, résiste aux infections et cicatrise rapidement.

Combiné à une activité physique régulière, leur régime alimentaire, composé de tubercules et de racines, les préserve du surpoids.

Exposés à des concentrations importantes de dioxyde de carbone dans leurs tunnels peu ventilés, ils bénéficient d’une mutation génétique qui les rend insensibles à certaines douleurs. Cette faculté leur éviterait les souffrances causées par l’acidose des tissus, une accumulation excessive d’acides dans le corps.

Résistant à l’anoxie, comment le rat-taupe nu survit-il sans oxygène ?

L’un de ses superpouvoirs les plus prodigieux est sa capacité à survivre jusqu’à 18 minutes sans oxygène ! Ses cellules utilisent alors le fructose, plutôt que le glucose habituel, comme source d’énergie pour maintenir son métabolisme au ralenti tout en assurant le fonctionnement de ses organes vitaux.

« Avec un faible niveau d’oxygène qui tuerait un humain en quelques minutes, le rat-taupe nu peut survivre au moins cinq heures. » Thomas Park, professeur de biologie à l’université de l’Illinois, Chicago.

Dans un environnement normalement oxygéné, il reprend conscience en seulement 5 minutes. Cette tolérance à l’hypoxie (carence en O) témoigne d’une acclimatation remarquable à la vie sous terre.

À l’instar du tardigrade, un extrémophile capable de survivre dans l’espace, les aptitudes du rat-taupe nu, véritable super-héros du règne animal, illustrent l’ingéniosité de la nature. Son physique atypique et ses superpouvoirs en font un modèle d’adaptation fascinant. Ce rongeur hors du commun souligne la valeur inestimable de la biodiversité. Chaque espèce, même la plus improbable, peut révolutionner notre compréhension du vivant et inspirer des avancées scientifiques.

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Adeline Marck, pour e-Writers
Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu par Anne, tutrice de formation chez FRW.

 

SOURCES :

⏩ BRAUDE, Stan ; HOLTZE, Susanne ; BEGALL, Sabine ; et al. Surprisingly long survival of premature conclusions about naked mole-rat biology. Biological Reviews [en ligne]. 2021, 96 (2), 376-393 [consulté le 4 août 2024]. Disponible sur : doi:10.1111/brv.12660

⏩ BRIEÑO-ENRÍQUEZ, Miguel Angel ; FAYKOO-MARTINEZ, Mariela ; GOBEN, Meagan ; et al. Postnatal oogenesis leads to an exceptionally large ovarian reserve in naked mole-rats. Nature Communications [en ligne]. 2023, 14, 670 [consulté le 4 août 2024]. Disponible sur : doi:10.1038/s41467-023-36284-8

⏩ JARVIS, Jennifer U. M. ; SHERMAN, Paul W. Mammalian Species [en ligne]. 2002, 706, 1-9 [consulté le 4 août 2024]. Disponible sur : https://www.science.smith.edu/departments/Biology/VHAYSSEN/msi/pdf/706_Heterocephalus_glaber.pdf

⏩ LAGUNAS-RANGEL, Francisco Alejandro. Naked mole-rat hyaluronan. Biochimie [en ligne]. 2024, 220, 58-66 [consulté le 4 août 2024]. Disponible sur : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38158036/

⏩ SELVA, Charlène. Rat-taupe nu [en ligne]. [consulté le 4 août 2024]. Disponible sur : https://cabinetdecuriosites3d.mnhn.fr/fr/content/rat-taupe-nu

⏩ THOMAS, Frédéric ; UJVAR, Beata ; DUJON, Antoine M. Évolution de la résistance au cancer dans le monde animal. Med Sci (Paris) [en ligne]. 2024, 40, 4343-350 [consulté le 4 août 2024]. Disponible sur : doi:10.1051/medsci/2024038