Faire défiler son feed Instagram, et tomber sur la photo d’un petit garçon de trois ans que l’on connaît… ou pas. Ça nous est tous déjà arrivé, non ? Lui, c’est le fils d’un couple de personnalités qu’on suit depuis quelque temps, qu’on aime comme s’ils étaient nos amis et qui, pourtant, sont de purs inconnus. Oui, être influenceur, c’est ça : exhiber son quotidien, qu’il soit réel ou fantasmé, et mettre toujours plus en scène cette proximité factice sur les réseaux sociaux. Des familles racontent ainsi leurs moindres faits et gestes par le prisme de leur bambin-star, réinterrogeant au passage plusieurs notions fondamentales : celle du voyeurisme, du respect de la vie privée, et du droit à l’image. Alors, à force de brouiller les limites de l’intimité, ces parents influenceurs sont-ils un danger pour leurs enfants ? Zoom sur cette pratique aussi banalisée que controversée, et qui s’installe de plus en plus au sein du débat public.

 

Parents influenceurs, danger pour leurs enfants : des chiffres et des lois

Malgré des chiffres affolants et des lois émergentes, certains créateurs de contenus continuent d’aller toujours plus loin dans la publication à outrance de contenus familiaux.

Ce qu’en disent les statistiques

Attention les yeux : selon l’Assemblée nationale, ce sont quelque 300 millions de clichés qui circulent quotidiennement sur les réseaux sociaux. Ajoutons à cela que plus d’un internaute sur deux prend une photo dans l’objectif de le poster en ligne ! De cette puissante société de l’image émerge la tendance des parents influenceurs, jeunes (moins de 36 ans), dont le job est de publier du contenu sur leur vie de famille — souvent de façon très précoce. Eh oui, car selon une étude de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation numérique :

  • 53 % d’entre eux ont déjà partagé un cliché de leurs enfants ;
  • 43 % des bébés sont exposés dès la naissance ;
  • 91 % le seront entre 0 et 5 ans.

À une époque où concilier travail à domicile et vie de famille est de plus en plus courant, ce business de l’intimité connaît un succès fou. Ceux qui s’y adonnent croulent, pour la plupart, sous les demandes de partenariats en échange de quelques posts. Ils reçoivent des cadeaux, et dans certains cas de l’argent… Beaucoup d’argent. La plupart en ont d’ailleurs fait leur unique source de revenus, pouvant grimper jusqu’à 50 000 €/mois. Tentant, n’est-ce pas ?

Infographie sur les principaux réseaux sociaux utilisés par les parents influenceurs

Les plateformes préférées des parents influenceurs, Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation numérique, février 2023

 

Certes, tout travail mérite salaire, mais de si gros revenus impliquent souvent beaucoup d’efforts… Ainsi, 85 % de ces créateurs de contenu publient au moins une photo ou vidéo de leur progéniture par semaine, et 38 % le font minimum une fois par jour. Or, il s’agit généralement d’un long boulot de mise en scène. Pour les parents bien sûr, car 60 % d’entre eux déclarent avoir besoin d’une heure de préparation pour chaque post — qui nécessite, à lui seul, entre deux et dix prises ! Mais pour leurs enfants aussi ; pour autant, ces derniers ont-ils accepté de se dispenser à cet exercice ? Spoiler alert : pas vraiment. Moins d’une famille sur deux confirme avoir obtenu leur consentement avant de partager du contenu sur eux. Et quand bien même une fillette de 5 ans donne son feu vert pour être une figure publique des plateformes en ligne, comprend-elle tout à fait, à son jeune âge, les conséquences de son approbation ?

Ce qu’en dit la loi

La bonne nouvelle, c’est que des législations commencent à émerger, comme la loi Studer du 19 octobre 2020, première étape dans la protection des mineurs influenceurs. Celle-ci encadre l’exploitation commerciale de l’image des moins de 16 ans sur les plateformes en ligne. L’article 226-1 du Code pénal, lui, punit l’atteinte à l’intimité de leur vie privée. Citons également le dernier texte entré en vigueur sur le sujet à l’Assemblée nationale en janvier 2023, qui souhaite garantir le respect de leur droit à l’image :

« Un enfant apparaît sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l’âge de 13 ans, sur ses comptes propres, ceux de ses parents ou de ses proches. »

Cette loi projetterait également d’intégrer la notion de « respect de la vie privée » dans la définition de l’autorité parentale, et permettrait d’interdire, en cas de désaccord familial, la diffusion d’images de l’enfant sans l’autorisation de l’autre parent.

Bambins (sur)exposés sur les réseaux sociaux : narcissisme et non-consentement

La législation progresse donc dans le bon sens, mais il est important de comprendre que la tendance à la surexposition est plus ancienne qu’on ne le pense, et que ses dégâts peuvent être dramatiques.

Retour vers le futur

Prenons un peu de recul : le mythe de l’enfant-star, ça ne date pas d’hier ! Miley Cyrus, Macaulay Culkin, ou encore Justin Bieber… Toutes révélées très jeunes, ces célébrités sont depuis associées à une image médiatique qui n’a plus rien à voir avec l’adulte qu’elles sont devenues. Et pourtant, pourquoi certains parents ne peuvent-ils s’empêcher de propulser leur progéniture sur le devant de la scène — virtuelle ? Assouvissent-ils un certain besoin narcissique d’être aimé par ceux qui les suivent, ceux qui les regardent ?

Avoir un bébé ferait naître chez eux la volonté de partager du contenu sur lui pour renforcer le lien qu’ils entretiennent avec leur communauté virtuelle. Mais le glorifier sur les réseaux, c’est le mettre en danger de multiples façons, puisque les potentielles conséquences sur son équilibre mental sont inquiétantes. Le constat est désormais très clair : la course aux likes est source de troubles psychiques dans le travail d’acceptation de soi et de son image personnelle. Sans compter, bien sûr, les effets néfastes des écrans sur notre santé et les risques que peuvent engendrer leur surconsommation !

Retour de bâton

L’influenceuse Poupette Kenza en est le triste exemple. Depuis février dernier, elle fait l’objet d’une enquête pénale pour maltraitance sur ses deux enfants, après avoir été signalée en masse par ses détracteurs. Suivie par plus d’un million d’abonnés sur Snapchat, la Rouennaise de 22 ans a pour habitude de partager chaque minute de son quotidien à coups de centaines de vidéos et de codes promo. Son compte a été temporairement suspendu, mais la jeune femme en a profité pour se déporter sur TikTok et Instagram, admettant au passage son addiction aux réseaux sociaux et les souffrances psychologiques qu’elle endure.

« J’ai appris à vivre avec le harcèlement, j’essaie de ne pas trop prendre à cœur les critiques méchantes. » Poupette Kenza

Car oui, exposer ses bambins, c’est aussi prendre le risque d’être cyberharcelé. Un geste maladroit, une marque de lait artificiel controversée, et c’est le flot de commentaires négatifs, la porte ouverte aux haters. Le danger est réel pour la santé mentale de l’enfant, mais également pour celle du parent lui-même.

L'influenceuse Poupette Kenza en janvier 2023

Capture d’écran d’un post du compte Instagram de Poupette Kenza, publié en janvier 2023. Crédit : @poupeettte

 

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Mise en scène de l’intimité : à chacun ses limites

Alors, peut-on communiquer sur sa vie de famille sans la surexposer pour autant ? Pratiquer le métier d’influenceur quand des enfants font partie intégrante du quotidien peut s’avérer être un exercice délicat… mais pas impossible.

Une limite catégorique

Eh oui, les limites des vlogueurs sont extrêmement arbitraires. Au micro du podcast Louie Media « Faites des gosses », les mumpreneures Kenza Sadoun El Glaoui et Juliette Katz témoignent. Elles sont toutes les deux jeunes mamans, et pour autant, elles n’ont jamais dévoilé le visage de leurs enfants. La limite est très claire : il est hors de question qu’ils soient reconnaissables sur les réseaux. Kenza raconte avoir elle-même été victime de harcèlement par l’un de ses followers, et refuse catégoriquement de prendre le moindre risque pour sa fille. Quant à Juliette, elle est terrifiée à l’idée que des clichés de son fils puissent être utilisés à des fins pornographiques, comme cela arrive malheureusement très souvent.

Juliette Katz pose avec son fils pour Magicmaman

Interview de Juliette Katz « Coucou les girls » pour le webzine Magicmaman.com. Crédit : Juliette Leigniel

Des contours plus nuancés

Pour Marie Faure Ambroise, influenceuse voyage et mère de trois enfants, la limite, c’est son intimité. Publier du contenu visuel sur eux, oui, sans hésitation ; mais hors de question de dévoiler leurs traits de caractère ou leurs problèmes personnels. Son plus grand, âgé de 11 ans, n’apparaît d’ailleurs plus sur sa page, car il a désormais son mot à dire sur le sujet et refuse que ses amis puissent tomber sur une photo de lui. Marie respecte évidemment son choix, mais ne peut s’empêcher de s’interroger sur le fond du débat : préserve-t-on davantage quelqu’un en dissimulant son visage ou son intériorité ?

Pour autant, ces femmes abordent régulièrement et avec joie différents thèmes de maternité sur leurs comptes. Tout n’est pas noir ou blanc ! Internet et les plateformes en ligne sont aussi un moyen fantastique de démocratiser l’information, de créer un lien fort avec une communauté qui peut aussi être très bienveillante. Vulgariser la dépression postpartum, sensibiliser les jeunes parents à l’accueil d’un premier enfant… voilà autant de sujets qui peuvent aider des mères parfois très isolées.

 

Finalement, de ce sujet de société, résulte encore et toujours la même problématique : notre monde voit-il les enfants comme propriété des adultes ou êtres à part entière ? Le débat est ouvert !

 

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Nina Senoyer, pour e-Writers.

Article rédigé lors du cursus de formation en rédaction web chez FRW.
Article relu et corrigé par Jade, tutrice de formation chez FRW.

 

Sources

Etude « Parents influenceurs », Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation numérique, février 2023

« Proposition de loi n°758 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants », Assemblée nationale, janvier 2023

« Poupette Kenza exhibe sa vie de femme au foyer à son million d’abonnés sur Snapchat », Le Monde, février 2023

« Enfants en ligne, parents indignes ? Les influenceuses répondent », Faites des Gosses, Louie Media, mars 2023